Gustavo GUERRERO
CY Cergy Paris Université, FR

https://doi.org/10.26034/la.tdl.2020.1003

Résumé

L’objectif de cet article est de présenter les œuvres d’un certain nombre de poètes et de groupes latino-américains qui font désormais de la poésie par d’autres moyens, à la confluence de la performance, de l’art vidéo, de la musique, de l’art conceptuel et de la cyber-littérature. Le voyage à travers ce corpus n’est pas chronologique, encore moins géographique ou régional, mais s’articule autour de trois zones de perturbation, de dissonance ou de haute tension que la transmédialité génère dans le champ poétique actuel. La première concerne les disciplines philologiques comme histoire des textes et concerne la généalogie des pratiques transmédiales et leur articulation avec le corpus de la poésie latino-américaine du XXe siècle. La seconde touche à l’instabilité causée par la prolifération de nouveaux supports et aux questions entourant le statut et l’identité de l’œuvre poétique que cela implique. Enfin, on aborde au troisième chapitre le problème de l’énonciation poétique et du moi lyrique. Plutôt que de tirer des conclusions définitives, ce que nous cherchons avec ce parcours consiste à souligner l’importance de certains sujets qui nous obligent à réfléchir sur les conditions de lecture des objets transmédiaux et sur les effets que la création transmédiale produit dans notre manière de concevoir, lire et enseigner la poésie.

Mots-clés
AMÉRIQUE LATINE. MOI LYRIQUE. POÉSIE. TRANSMÉDIALITÉ. XXIe SIÈCLE.
Plan
Article

Les travaux sur la notion de transmédialité et ses applications à l’étude de la littérature n’ont cessé de se multiplier depuis le début du siècle, au point qu’ils apparaissent fréquemment aujourd’hui parmi les références qui orientent prioritairement nos recherches dans les bibliothèques et dans les bases de données. La théorie littéraire, la théorie de la communication, la littérature comparée, les études culturelles et les différentes perspectives interdisciplinaires, réunies actuellement sous l’étiquette de new media studies, ont été les principaux vecteurs et théâtres de ce phénomène intense et très étendu, marqué par la nécessité de comprendre les changements rapides auxquels nous assistons dans la sphère médiatique. Nous ne manquons donc pas de définitions ni de discussions sur ce que la transmédialité fait ou sur ce que la transmédialité est. C’est pourquoi toute approche critique de la transmédialité passe forcément à l’heure actuelle par une démarcation des frontières entre les divers contenus, les nombreuses utilisations et les significations plurielles du terme, telles qu’on les trouve dans le vaste nuage sémantique crée par les discours contemporains.

Avant de débuter notre excursion, je souhaiterais ainsi prévenir que la transmédialité à laquelle nous allons nous référer n’a que peu ou pas de rapport avec le concept utilisé par le marketing et par certains théoriciens nord-américains, pour décrire un type de récit et une forme de consommation dérivés de la circulation d’une histoire à travers plusieurs supports: romans, séries télévisées, films, jeux vidéo, etc. (Jenkins; Pratten). Fruit de la convergence technologique et de l’avide exploitation commerciale des imaginaires fictionnels auxquelles nous sommes soumis aujourd’hui, la narration transmédiale (transmedia storytelling) relève d’un mode de discours, d’une idéologie et d’un ensemble des pratiques, de mon point de vue, assez éloignés de la création poétique et souvent opposés à celle-ci. Nous n’allons pas entendre non plus par transmédialité une simple juxtaposition, combinaison ou superposition de média, ni un synonyme de la littérature numérique ou de la cyber-littérature. En ce qui nous concerne, je crois qu’il est beaucoup plus intéressant d’interpréter le terme d’une façon claire et synthétique, comme le fait la critique argentine Claudia Kozak lorsqu’elle affirme que la transmédialité peut être définie comme «la manière dont le croisement des langues et des médias habilite actuellement une expérience esthétique différentielle, uniquement possible par leurs concours même» («Esos raros poemas nuevos» 3). De plus, nous devons insister, comme le font Alfonso de Toro, Claudia Kozak et Kiene Brillenburg, sur le caractère dissonant, déstabilisant et perturbateur de cette rencontre de médias et de langues, qui se manifeste sous la forme d’un événement, ouvrant les portes à une lecture critique de nouveaux objets et de nouvelles pratiques artistiques dont la diffusion altère ou brouille les cadres génériques traditionnels.

Des notions très usitées aujourd’hui en Amérique latine et ailleurs, comme celle de poesía expandida («poésie étendue ou élargie»), forgée dans le moule de l’ancien Expanded Cinema, rendent compte de ce changement d’horizon et montrent que nous sommes confrontés à un processus qui présente des aspects très variés et complexes, non seulement poétiques et médiatiques, mais aussi technologiques, politiques et sociaux. Essayer de lire ce processus en cours nous oblige constamment à nous frotter aux contours flous de notre culture et nous place devant une représentation de notre époque dans laquelle mots, mouvements, sons et images, issus de différents moments technologiques et temporels, se rencontrent, se chevauchent et se superposent, souvent violemment. Ceci explique en bonne partie pourquoi, pour le dire avec le concept d’Ernest Bloch, l’expérience de la poésie dans beaucoup de ses manifestations transmédiales actuelles (poésie sonore, poésie numérique, vidéo-poésie, poésie spatiale, etc.) constitue une expérience de la simultanéité du non-simultané, un type d’expérience très particulière qui définit notre contemporanéité au début de ce nouveau siècle.

En effet, si, d’une part, la transmédialité semble dessiner l’horizon utopique d’une synthèse ou d’une convergence absolue entre médias et langages; d’autre part, elle représente également l’un des théâtres fantasmatiques où le retard persistant qui nous constitue dans ce temps d’accélération historique est mis en scène. Une chose ne va pas sans l’autre et encore moins lorsqu’il s’agit de parler de la création poétique la plus récente, comme l’a souligné récemment Daniel Link au cours d’une conférence intitulée allusivement «La poésie à l’ère de sa reproductibilité numérique». L’écrivain et chercheur argentin explore dans ces pages plusieurs questions majeures qui se sont posées à beaucoup d’entre nous à la suite de la rencontre entre la poésie, les humanités et les nouvelles technologies. Je parle de questions telles que l’hétérogénéité et l’ampleur des transformations que la pratique poétique est en train de subir dans l’espace numérique, ou des conséquences que les différents types d’interventions transmédiales sont en train de produire dans notre manière de comprendre non seulement la poésie actuelle mais celle à venir. Au cours de la discussion qui se déroule à la fin de la conférence, et répondant à une question justement de Claudia Kozak, Daniel Link déclare:

D’une part, il me semble que si l’on se soucie du temps présent, on ne peut qu’écouter et regarder ce type de manifestations artistiques nouvelles qui finissent par s’installer dans un au-delà de l’art connu. Ensuite, après avoir compris que cela existe et une fois vérifié que cela produit une sorte de stupeur, ou certaines questions, ou une sorte de vibration émotionnelle, pour une raison ou une autre, il me semble que ce que nous devons faire est de nous demander: et que faisons-nous avec cela? Comment lisons-nous cela? (23)

Celles et ceux qui ont été formés dans la tradition philologique et dans l’exercice du commentaire de texte (close reading) ne peuvent que se reconnaître dans l’attitude et dans les questions de Daniel Link. Elles posent une série de problèmes d’ordre méthodologique, théorique et critique qui demandent une réponse de plus en plus urgente, comme Marjorie Perloff l’avait déjà souligné, il y a quelques années, dans son ouvrage Differentials (2004).

Je voudrais partager ma perplexité devant certaines expériences transmédiales qui ont lieu dans le champ poétique latino-américain contemporain et dont je vais essayer de rendre le sens et la portée. À cette fin, je passerai en revue les œuvres d’un certain nombre de poètes et de groupes qui, dans différents pays, sont en train de faire de la poésie par d’autres moyens, au point de convergence entre la musique, la vidéo, la performance, l’art conceptuel et de la cyber-littérature. Notre excursion à travers ce corpus restreint ne sera ni chronologique ni encore moins géographique ou régionale. Elle va s’articuler autour de trois zones de turbulence, de dissonance ou de haute tension, générées par la transmédialité dans le champ poétique actuel. La première concerne directement les disciplines philologiques en tant qu’histoire des textes et touche à la généalogie des pratiques transmédiales et à leur articulation avec le corpus de poésie latino-américaine du XXe siècle. La seconde, peut-être plus évidente, concerne l’instabilité causée par la prolifération de nouveaux supports et les questions relatives au statut et à l’identité de l’œuvre poétique que cela implique. Enfin, la troisième concerne la problématique de l’énonciation et du moi lyrique. Plutôt que de parvenir à des conclusions définitives, je poursuis avec cet essai et cette excursion l’objectif de souligner l’importance de certaines questions qui nous obligent à réfléchir sur les conditions de lecture des objets transmédiaux aujourd’hui et sur les effets que la création transmédiale produit sur notre manière de concevoir, de lire et d’enseigner la poésie.

1. Une place dans le temps

La première vidéo que je souhaiterais partager a, de mon point de vue, une valeur à la fois historique, littéraire et symbolique. Il s’agit d’une performance du poème «Tensão» d’Augusto de Campos, qui a eu lieu dans le cadre du Festival international Video Brasil à Sao Paulo, en 1996. La lecture de ce texte, écrit quarante ans auparavant, en 1956, est assurée par le poète Augusto de Campos lui-même, aux côtés de son fils, Cid Campos, qui en effectue le traitement musical et sonore, alors que défilent sur l’écran les diapositives du concepteur visuel et vidéo-artiste Walter Silveira:

Fig. 1: diapositives du concepteur visuel et vidéo-artiste Walter Silveira. (https://www.youtube.com/watch?v=F2B6I9EMOUI.)

Depuis la fin des années 1980, Augusto de Campos réécrit sa poésie dans une perspective transmédiale lui permettant de mettre en valeur les aspects sonores et visuels de ses compositions par l’intermédiaire d’une vocalisation qui parcourt plusieurs registres acoustiques, associée à une projection sur l’écran de la séquence de lecture. «Tensão» constitue, dans cette ligne de travail, un poème avec une histoire particulière, puisque, dans l’un des chapitres de Theory of Concrete Poetry, Décio Pignatari l’avait érigé en exemple de l’importance que revêtait, pour le concrétisme brésilien, la dimension sonore des mots, en corrélation étroite avec une représentation du mouvement qui, contrairement à la pratique des futuristes, ne faisait pas allusion à un objet spécifique mais à la structure phono-graphique du texte et au rythme de la composition (60). Il n’est donc pas surprenant qu’Augusto de Campos lui ait accordé une place dans son répertoire pour le festival. Mais l’essentiel reste que cette proposition de réécriture transmédiale, il ne l’élabore pas seul. Il développe le projet de performance avec deux artistes plus jeunes, de générations émergentes, deux jeunes avec qui il conçoit, pour Video Brasil, le spectacle Poesia é risco comme une performance verbivocovisuelle appelée à commémorer, en 1996, les quarante années du concrétisme. Cid Campos et Walter Silveira enregistrent avec Augusto de Campos un CD qui rassemble cette aventure et ils continueront ensuite à travailler ensemble et séparément en vidéo poésie, ainsi qu’en poésie sonore et musicale tout au long des années 2000. Cependant, cette collaboration avec l’un des grands maîtres de la poésie concrète marque un jalon non seulement pour eux mais aussi pour nous, car, à mon sens, elle constitue une épigraphe éloquente de notre excursion, qui rend palpable et explicite le dialogue entre deux siècles inscrit dans de nombreuses poétiques transmédiales aujourd’hui en Amérique latine.

En effet, il existe une généalogie de la création transmédiale latino-américaine puisque le XXIe siècle ne commence pas avec une page blanche: en ce qui concerne la production poétique du continent, la révolution technologique qui accélère la circulation des contenus et modifie les frontières des genres littéraires au cours des dernières décennies du XXe siècle, s’articule très tôt à une histoire qui la précède et elle s’y ajoute, ouvrant rétrospectivement d’autres façons de l’interpréter. Par conséquent, parler simplement de rupture ou de nouveauté, comme cela a malheureusement été le cas par le passé, ne rend pas justice à la nature un peu plus complexe du phénomène. L’une des premières conditions de lecture de la vaste production transmédiale actuelle suppose, au contraire, son repositionnement sur une vaste toile de fond qui lui confère une densité sémantique et historique spécifique. Ce contexte se déploie sur une courbe de temps, allant du mouvement «estridentista» mexicain, de la poésie de l’Argentin Oliverio Girondo ou de celle du Brésilien Oswaldo Andrade dans les années 1920, aux œuvres les plus récentes de personnalités aussi protéiques que la Mexicaine Rocío Cerón, la Chilienne Cecilia Vicuña et le Brésilien Eduardo Kac, et en passant par l’aventure de la poésie expérimentale latino-américaine des années cinquante du XXe siècle qu’incarnent, entre autres, l’Argentin Edgardo Antonio Vigo, l’Uruguayen Clemente Padín et, bien sûr, l’école brésilienne du concrétisme.

En réalité, la poésie concrète constitue aujourd’hui l’une des références les plus citées et les plus influentes parmi les poètes et artistes transmédiaux brésiliens, mais aussi parmi d’autres collectifs latino-américains actuels, tels que le collectif chilien Orchestra des Poètes (formé par Marcela Parra, José Burdiles, Felipe Cussen, Federico Eisner Sagüés, Pablo Fante et Fernando Pérez Villalón) ou le groupe Anima Lisa au Pérou (dont les membres sont Rodrigo Vera, Santiago Vera, Daniel Sánchez-Ortiz, Michael Prado et Luis Alberto Castillo). Ces deux groupes exploitent dans un registre transmédial les différents versants du concrétisme, ses aspects visuels, sonores ou musicaux, et, ce faisant, ils réécrivent l’histoire dans laquelle ils s’insèrent et nous invitent à la relire d’une manière critique en corrélation avec l’interprétation et l’évaluation de leurs œuvres.

Sur son site en ligne, l’Orchestra des Poètes se définit ainsi:

Projet d’expérimentation musicale et poétique cherchant à fusionner les deux disciplines dans un répertoire inscrit comme proposition artistique dans la tradition des avant-gardes de musique et de poésie sonore, où le scénique et le visuel s’accordent, et forment une expérience esthétique complexe et pulsionnelle, qui veut se placer à la frontière de la musique et de la poésie, sans atteindre la chanson, ni à la poésie sonore pure.

De leur côté, les membres du groupe Anima Lisa ajoutent à leur intérêt pour l’iconographie du concrétisme, des interventions dans des projets de recherche sur les objets poétiques du poète péruvien Eduardo Eielson et des propositions urbaines audacieuses autour de la poésie de César Vallejo, telles que «Trilce I – Univers dense» de 2012, archivé sur le site du groupe (https://animalisa.pe/exposiciones/trilce-i-universo-denso-octubre-2012/).

Enfin, si nous entrons dans la vaste galaxie de la poésie numérique ou cyber-poésie, le nombre de citations, d’allusions et de références à la poésie sonore et expérimentale des avant-gardes latino-américaines est tel, qu’elles finissent par devenir la condition même de leur lecture en tant que poésie, comme nous le rappelle Claudia Kozak («Esos raros poemas nuevos» 6).

Pour résumer, comme le montre la performance du poème «Tensão» qui nous a servi de point de départ, la relation entre le présent et le passé n’est pas définie, dans le domaine des pratiques transmédiales actuelles, comme une simple célébration de la nouveauté ou de la rupture. Au contraire, l’application de la technologie aux processus créatifs fait de la transmédialité une machine subtile à réécrire et à relire, elle provoque une réactivation et une réévaluation inattendues d’une partie importante de l’héritage des avant-gardes des années vingt et des néo-avant-gardes des années cinquante, mais leur champ d’action et leurs effets ne tarderont sûrement pas à s’étendre bien au-delà. En effet, la généralisation du recyclage textuel transmédial peut conduire à moyen terme à un réajustement progressif d’autres parties du corpus poétique latino-américain du XXe siècle en fonction de ses modes de circulation et constitue donc une invitation à regarder avec des yeux différents et à écouter d’une oreille différente les poètes et les poèmes non seulement des premières avant-gardes ou des néo-avant-gardes, mais aussi les œuvres plus traditionnelles qui ne circulent pour l’instant que dans un livre imprimé. Car comme l’annonce le travail expérimental du groupe Anima Lisa avec la poésie de César Vallejo, nous devons nous attendre à une prolifération de ce que Charles Bernstein a décrit comme des «versions discordantes» des œuvres écrites (11).

Il existe une raison sémiotique qui explique ce réajustement historique en cours et qui découle de la textualité instable générée dans le régime littéraire transmédial. En effet, contrairement à ce qui se passe avec un support fixe, qui nourrit l’illusion de permanence de la lettre et du sens, la circulation du texte poétique à travers la voix, la lumière, le son, la couleur, les corps et le mouvement, renvoie le langage à son état de matière d’une communication variable et fluide, renforçant, voire exacerbant le fossé entre la lettre et le sens, ou pour le dire de manière derridienne, soulignant sa différance, c’est-à-dire l’inconstante relation entre signifié et signifiant qui rend impossible la totalisation de l’expérience sémantique et ouvre le texte virtuellement à un infini imprévisible. Comme la réécriture du Quichotte par Pierre Ménard, le poème «Tensão», écrit par Augusto de Campos en 1956, ne dit pas la même chose que le poème «Tensão» mis en scène par Augusto de Campos, Cid Campos et Walter Silveira au festival Video Brasil, en 1996. Pas plus que le poème «Cinq» (1964) de José Lino Grunewald ou le célèbre poème «Velocidade» (1957) de Ronald Azeredo, qui ne disent la même chose dans leurs versions originales et dans leurs réalisations transmédiales de 2007, visibles sur internet, que nous devons au vidéaste et cinéaste brésilien Christian Caselli. C’est comme si ces poèmes avaient été écrits pour trouver leur forme la plus achevée ou la plus complète, pour produire pleinement leurs effets, dans cette nouvelle conjonction de médias et de langages:

Fig. 2: poème «Velocidade», adapté par le vidéaste et cinéaste brésilien Christian Caselli.(https://www.youtube.com/watch?v=yC3e7rmSYM4.)

Si nous poursuivons la discussion jusqu’à ses dernières conséquences, nous pouvons nous demander si, ou jusqu’à quand, ou dans quels cas, la notion de genre et la caractérisation disciplinaire elle-même constituent toujours des instruments utiles pour interpréter les multiples recréations transmédiales de la poésie latino-américaine au début du XXIe siècle. Qu’elle que soit la réponse, il me semble que, dans les dernières décennies du siècle précédent, les transformations de l’écologie médiatique ont mis à la disposition de la technologie numérique multimédia les vastes archives analogiques de la production poétique de la modernité, tout en permettant l’apparition de nouvelles formes transmédiales d’écriture, de lecture et de diffusion de textes qui, à leur tour, favorisent la diffusion de nouvelles façons de créer, de ressentir et de transmettre la poésie.

Il s’avère difficile de reconstituer la chronologie de ce processus et de donner des dates précises à ces transformations, même si, dans le contexte latino-américain, Clemente Padín soutient que l’année 1996 marque un jalon et ouvre une nouvelle période sur le continent, car c’est l’année où l’on voit émerger un bon nombre de festivals transmédiaux et l’on assiste à un renouveau des circuits, des pratiques et des publics intéressés par l’expérimentation poétique (279). Mais peut-être que rien n’a autant marqué ce moment de transition que la prolifération de nouveaux supports et le décentrage du livre imprimé qui en a découlé au sein de notre culture. Il est curieux, voire paradoxal, qu’à la même époque où Donald McKenzie (1986) et Roger Chartier (1995) plaçaient au cœur de la recherche universitaire la réflexion sur l’histoire du livre, celui-ci perde le monopole dont il a joui tout au long de l’ère moderne. Mallarmé a été sans aucun doute l’un des poètes qui a su le mieux exprimer symboliquement cette relation privilégiée avec sa célèbre phrase: «tout au monde existe pour aboutir à un livre». À la fin du XXe siècle, avec le développement de la révolution technologique, livres et poésie ont perdu la relation privilégiée qu’ils entretenaient pratiquement depuis l’invention de l’imprimerie et sont rentrés dans une nouvelle période, marquée par une relation complexe et tendue qui caractérise aujourd’hui notre présent.

2. Une place dans l’espace  

En effet, ce qui caractérise le moment contemporain n’est pas la disparition du livre de poésie imprimée, mais sa cohabitation ou sa coexistence avec d’autres modes de création, de publication et de diffusion. En d’autres termes, l’émergence transmédiale d’une poésie élargie ou étendue – une poésie hors de soi, pour paraphraser Claudia Kozak («Escribir la lectura. Hacia una literatura fuera de sí» 37) – n’a pas supplanté ni exclu le livre traditionnel, mais en est venue à établir avec lui un nouveau type de lien très complexe, dont nous commençons tout juste à entrevoir la densité et l’importance. Comme dans le cas de la relation entre le passé et le présent, nous n’avons pas non plus ici une situation simple et tranchée. D’une part, même parmi les générations les plus récentes, le livre imprimé reste une référence incontournable. Des figures comme les Mexicains Julián Herbert et Rocío Cerón, comme les Chiliens Enrique Winter et Héctor Hernández Montecinos, comme le Péruvien Reynaldo Jiménez et comme l’Argentine Silvana Franzetti, comme l’Uruguayen Martín Barea Mattos ou le Dominicain Frank Báez, qui font partie toutes et tous du circuit transmédial latino-américain, continuent en même temps de publier leurs poèmes sous forme des livres imprimés. Il existe même un cas très curieux et éloquent, celui du poète mexicain Eugenio Tiselli, auteur du célèbre programme en ligne PAC, poésie assistée par ordinateur (2006), un programme qui produit des textes poétiques automatiquement utilisant des dictionnaires de synonymes et des traducteurs électroniques. Eugenio Tiselli, un champion de la poésie numérique, a non seulement mis son programme à la disposition de tous les internautes et de tous les poètes en manque d’inspiration, mais il a également réussi, grâce à son programme, à composer un recueil qu’il a publié en livre papier: El drama del lavaplatos (2010).

Inversement, des poètes qui, en principe, ne semblaient pas intéressés par les pratiques transmédiales, tels que l’Argentin Martin Gambarotta ou le Mexicain Luis Felipe Fabre, se sont prêtés à participer à différentes lectures et représentations et ont collaboré à la mise en scène de leur poésie dans des spectacles assez sophistiqués. On peut citer l’exemple des représentations des trois poèmes de La sodomie en la Nouvelle Espagne, livre publié par Fabre en 2010, qui est construit comme une réécriture des documents inquisitoriaux relatifs au procès de quatorze homosexuels au Mexique entre 1567 et 1568. Il existe au moins deux versions en ligne des vers de Fabre qui mettent en scène ce procès et la peine de mort requise contre les accusés. La première version montre la performance de Fabre, aux côtés de Daniel Saldaña París et Paula Abramos, qui a eu lieu au festival Poesía en Voz Alta à Mexico en 2010:

Fig. 3: Luis Felipe Fabre, Daniel Saldaña París et Paula Abramos au festival Poesía en Voz Alta à Mexico. (https://www.youtube.com/watch?v=nj3p7KGkRXk)

Il s’agit essentiellement d’une lecture à trois voix accompagnées d’une projection simultanée de mots et d’images sur la scène. Elle met en lumière la polyphonie interne des poèmes à travers une composition en fugue et contrepoint éminemment baroque, comme le texte et les contextes mêmes d’où proviennent les vers. La deuxième version, qui peut également être consultée en ligne, est issue du festival Cervantino qui s’est tenu également à Mexico, dans le cloître de San Idelfonso en 2014. Dirigé par le Français Benjamin Lazar et interprété par le groupe musical Les Cris de Paris, il met moins l’accent sur la structure que sur la musicalité du texte poétique lorsqu’il est transféré ou corrigé par les voix des acteurs qui, érigés en tribunal, chantent ou récitent les vers dans un registre clairement ecclésiastique, proche du chant grégorien. Ainsi, ils recréent un environnement verbal, visuel et sonore dérangeant, qui restitue aux poèmes une partie de la densité historique dont ils sont issus et les enveloppe dans un climat lyrique très particulier qui transforme de manière décisive leur diction et leur sens:

Fig. 4: extrait de la représentation du spectacle La Sodomia en la Nueva Espanã au festival Cervantino, Mexico, dans le cloître de San Idelfonso. Dirigé par le Français Benjamin Lazar et interprété par le groupe musical Les Cris de Paris.(https://www.youtube.com/watch?v=dPKPEi0Y5r0)  

L’existence de ces multiples interprétations des poèmes de Fabre, tant au sens critique que performatif du terme, ne peut manquer de poser aujourd’hui un certain nombre de questions. Comment pouvons-nous définir la relation entre le livre imprimé et ces performances, en ce qui concerne l’identité et l’unité de l’œuvre? Faut-il considérer que l’entrée dans un régime transmédial active l’immanence plurielle de l’écriture, pour le dire avec les termes de Gérard Genette (128), et rend possible l’existence de plusieurs versions concomitantes d’une même œuvre que le chercheur doit désormais prendre en compte, philologiquement parlant, comme on le faisait jadis avec les multiples versions des romances des romanceros de la tradition orale du Moyen Âge espagnol? Et si la réponse à cette question était affirmative, quelle version devrait prévaloir dans la lecture critique et quel serait le statut du texte imprimé par rapport aux versions orales, musicales et/ou visuelles? Serions-nous devant une forme de notation qui fonctionnerait à la manière d’une partition vocale, fournissant le motif rythmique et sonore de l’interprétation, ou peut-être devant un plan ou un diagramme permettant d’organiser l’exécution de la performance et de distribuer les éléments plastiques, acoustique et visuels?

Charles Bernstein, cité plus haut, écrit «qu’un poème, vu à travers ses performances multiples, ou son inter-traduisibilité, a une existence fondamentalement plurielle» (9). Et il ajoute que:

Cela devient explicite d’une manière encore plus dramatique lorsque les instances de l’œuvre sont contradictoires ou incommensurables, mais cela se produit également lorsque les versions sont commensurables. Parler de poème en performance signifie donc détrôner l’idée du poème en tant qu’objet linguistique fixe, stable et fini; signifie nier au poème sa présence à soi et son unité. Par conséquent, bien que la performance accentue la présence matérielle du poème et de l’interprète, elle nie en même temps la présence unitaire du poème, c’est-à-dire son unité métaphysique. (9)

L’espace qui s’ouvre ainsi devant nous entre texte écrit et performance, entre lecture sur papier et spectacle, entre livre imprimé et concept d’œuvre, ne concerne pas seulement l’horizon de la création poétique, qui se déplace à une échelle inter- ou transmédiale, mais aussi les formes de réalisation, de diffusion et d’existence du poème en tant qu’objet pluriel. C’est pourquoi, à mon sens, l’une des manières les plus fécondes de lire la poésie latino-américaine en ce début de XXIe siècle, est de le faire en rendant visible et palpable les tensions engendrées par la circulation et par la convergence des pratiques poétiques entre différents médias et langages à l’intérieur du champ littéraire contemporain. C’est peut-être pour cette raison que l’une des figures les plus emblématiques du moment poétique actuel est la poète mexicaine déjà citée, Rocío Cerón, qui associe depuis plusieurs années la publication de ses livres imprimés à la performance et à la mise en scène multimédia de sa poésie, tout en explorant les relations nouvelles et complexes qui se tissent entre la page écrite et la nouvelle écologie médiale, l’un des objets centraux de sa réflexion théorique.

En effet, la Mexicaine interprète le concept de poésie élargie comme une extension et une actualisation des facultés pluri-sensorielles d’une subjectivité poétique, que l’écriture enregistre à la manière d’indices, en les suggérant ou en les insinuant. Pour elle, la transmédialité permet d’activer le potentiel interdisciplinaire du poème imprimé et le rend traduisible dans d’autres langages, tout en restituant peut-être une richesse et une ambiguïté perceptive qui est celle qui signe sa propre origine. Rocío Cerón est l’auteure d’une sorte de do-décalogue intitulé «Notes de création depuis la poésie et vers le numérique» où elle expose très clairement cet aspect majeur de sa poétique:

  1. Explorez le support papier et sa transposition dans l’espace numérique.
  2. Questionnez les limites de ce qui devrait être une page (livre, continent) de poésie.
  3. Ajoutez un média ou un cumul de voix qui deviendront des images, des sons, des mouvements.
  4. Générez une transposition du texte poétique sur le support numérique, recherchez le moment où les voix se sont converties en texte au moyen d’italiques, de lettres en gras, de typographies différentes. Rompez avec cela et faites en sorte que les mots deviennent des questions visuelles, sonores et corporelles.
  5. Craquez, érodez, créez des couches.
  6. Construisez le sens par friction ou par contraste ou même par insertion.
  7. Transformez les fonctions du message, laissez la fonction de communication efficace du mot pour le mettre en œuvre en tant qu’élément de signification par rapport aux autres langages et médias. Transformez la relation émetteur-message-destinataire.
  8. Remettez en question la frontière entre langage poétique et non poétique, explorez les nébuleuses de frottement entre ces points.
  9. Considérez le montage ou l’archive comme des dispositifs scripturaires étendus. Jouer à créer des matrushkas dans les matrushkas dans les matrushkas dans les matrushkas, comme un poème infini.
  10. En même temps: travaillez le substrat visuel de la page en tant que substrat résonnant avec le registre sonore (vocal, oral, rituel), en tant que substrat fictif qui s’ouvre en tant que substrat autobiographique.
  11. Le poème en tant que construction où paysage, réalité et univers propre génèrent des stratifications, des couches où un paysage s’ouvre sur un autre.
  12. Le poème, sa mise en espace numérique, en l’image, en geste, en corporéité, en champ aurique, dans une dimension qui dépasse le plan temporel et devient une mémoire rendue présente. Un présent immémorial.

Comme un miroir fidèle de ce moment de coexistence et de transition dans la pratique de la poésie, les douze instructions de Cerón soulignent non seulement la continuité, mais aussi le conflit et la rupture dans les relations entre le support imprimé et la nouvelle écologie des médias. Plus qu’une simple adaptation ou correction, la création transmédiale est présentée comme une enquête sur la traduisibilité de la page et du vers imprimé, c’est-à-dire comme la recherche des prolongations, des équivalences, des substituts et des synonymes pouvant être produits ou générés à partir de et/ou au travers le mot écrit dans un autre domaine de communication. «Le langage est un métal instable» est précisément le titre d’une conférence de Rocío Cerón sur le sujet (2014).

Son travail de création, entre le livre et la performance, dans le mouvement qui mène de l’un à l’autre, projette des paysages sonores et des textures visuelles traversés souvent par la voix du poète qui lit ses vers. Ainsi, dans Borealis, l’une des œuvres qu’elle a réalisées avec Abrahán Chávelas à Pachuca, au nord de Mexico, en 2016, elle met en évidence la saturation des couleurs et du son enregistrés par l’écho des aurores capturées par les radiotélescopes et mélangées à une partie de l’image statique de notre monde contemporain:

Fig. 5: Présentation de Borealis par Rocío Cerón, en collaboration avec Rubén Gil et Abrahán Chávelas, à Pachuca. (https://vimeo.com/177317042)

Comme si elle posait une question multisensorielle sur notre place dans l’espace et dans le temps, sur l’espèce que nous sommes dans ce présent anthropocène de la planète, les synesthésies inédites qui se tissent entre les lettres, les couleurs, les sons, les corps et les mouvements tracent un dialogue entre l’homme et le non-humain qui n’aurait pas déplu à nos symbolistes. En même temps, et comme elle l’a elle-même souligné, son travail montre que créer dans la nouvelle écologie des médias signifie acquérir une conscience différente de ce que représente notre langage articulé, oral et écrit, mais aussi comprendre que notre relation avec le langage articulé est également en train de changer.

Dans le cas particulier de l’Amérique latine, la problématisation des relations entre culture imprimée et production poétique s’inscrit dans une histoire un peu plus longue et très différente de l’histoire européenne ou nord-américaine, puisqu’elle a acquis une connotation politique et sociale assez radicale depuis longtemps, comme on peut le constater grâce au  travail de certains artistes, poètes et groupes sud-américains qui ont proposé, à la fin du XXe siècle, une rupture avec le livre et avec le type de support culturel qu’il constitue. En 1989 déjà, le collectif argentin PARALENGUA, l’Ohtra Poesía, intégré par Carlos Estévez, Roberto Cignoni, Fabio Doctorovich et Ricardo Castro, s’était défini comme une plateforme créative libertaire, destinée à accueillir des propositions poétiques alternatives à la page imprimée (Padín 46). Un autre précédent indispensable dans l’histoire mouvementée des relations entre livres et poésie en Amérique latine réside dans le mouvement Action Poétique, fondé au Mexique en 1996, et qui s’est répandu comme une traînée de poudre dans les principales villes du continent (Bollig 46). Entre graffiti, art urbain et poésie populaire, les interventions de ce collectif transnational traduisent une expérience de création participative destinée à offrir, en huit mots, des vers et des expressions poétiques que la communauté peut librement s’approprier, en marge de toute publication sur papier.

En ce début de XXIe siècle, l’occupation des espaces urbains et la projection de poèmes sur les murs des villes sont devenues des pratiques courantes dans de nombreux festivals et rencontres de poésie en Amérique latine. L’une des versions les plus élaborées et les plus intéressantes de ce type d’intervention est peut-être celle réalisée depuis 2010 par le groupe péruvien Anima Lisa, en jouant avec les limites fluctuantes entre poésie, arts visuels, son, architecture, communication et urbanisme. Il s’agit d’un type d’intervention transmédiale dont les réalisations sont rassemblées sur leur site sous la rubrique «Écrans urbains». Je voudrais partager avec vous l’installation mentionnée précédemment et réalisée en 2012, basée sur un poème du livre Trilce de César Vallejo. L’objectif est de transformer la ville en un espace de projection possible de la parole poétique et de lecture du grand poète péruvien, en mettant en scène les modifications apportées aux vers du poème et à sa signification lorsqu’on démolit, de l’intérieur, le mur sur lequel les vers ont été projetés, dans un processus de décomposition à la fois du texte et de son support:

La vidéo enregistre les transformations que subit le poème lui-même dans sa traduction matérielle et sa projection sur le mur d’une salle de bain qui est liée au thème du texte, mettant l’accent sur la continuité de l’espace public et des espaces intimes dans le cadre de la ville. Loin d’être une simple mise en scène qui exprime un désir de choquer ou de scandaliser, le groupe considère l’exercice comme une exploration du transfert la parole entre la page imprimée et son nouvel environnement virtuel:

L’installation Trilce I ne cherche pas précisément à mettre en scène le poème de César Vallejo mentionné dans le titre, mais à le prendre comme point de départ pour mettre en évidence le caractère matériel et procédural du langage une fois soustrait de la page blanche et jeté dans la tension de la ville comme espace de vie. (http://animalisa.pe/exposiciones/trilce-i-universo-denso-octubre-2012/)

Je pense toutefois que personne n’a développé avec autant de ténacité et de succès la recherche de solutions de substitution au support papier en Amérique latine, que le poète et artiste brésilien Eduardo Kac. Depuis les années 1980, ses exercices de poésie numérique et d’holopoésie, ou poésie holographique, se traduisent par la création d’un type de poème conçu, réalisé et affiché dans un espace lumineux à trois dimensions, dont le texte en mouvement produit différentes significations pour l’observateur-lecteur. Après avoir expérimenté différentes technologies, du fax à la vidéo, de Google Maps au code génétique, l’obsession symboliste de créer une écriture poétique libérée non seulement du livre, mais de tout support matériel, a trouvé peut-être sa forme la plus complète dans le poème conceptuel qu’il a réalisé en 2017, à la Station Spatiale Internationale, grâce à la collaboration de l’astronaute français Thomas Pesquet. L’œuvre s’intitule «Télescope Intérieur».

Ce fragile M majuscule, qui résonne comme un hommage à peine voilé au poète d’Un coup de dés, flotte comme les corps libérés de la gravité terrestre et de leurs ancrages traditionnels, soulignant que leur transposition dans un environnement différent remodèle leurs relations, leurs modes de lecture et la production de sens. Je pense que c’est l’une des images les plus éloquentes dont nous disposons aujourd’hui pour illustrer la situation actuelle de la poésie en régime transmédial. En inversant les fonctions habituelles du texte et du support, Eduardo Kac utilise ici le papier, non pas comme page, mais comme un outil d’écriture et ce qu’il fait écrire à Pesquet avec les feuilles blanches n’est pas du tout insignifiant: les formes combinatoires dans l’espace en mouvement composent le mot «MOI» et elles semblent faire allusion, en particulier, au sujet de l’énonciation dans la poésie lyrique, au célèbre «moi poétique». C’est ce «MOI» que le titre définit comme un «télescope intérieur», c’est-à-dire comme un appareil permettant de sonder les eaux profondes de la subjectivité, à la manière romantique, mais cette fois-ci à des milliers de kilomètres de la terre, détaché de tout et entouré de la plus haute technologie. Inutile de souligner l’anachronisme et l’ironie qui se cachent derrière la proposition conceptuelle et méta-poétique d’Eduardo Kac. Elle évoque un autre thème majeur du travail de l’artiste brésilien – la question du sujet dans la création contemporaine – et, en ce qui nous concerne, témoigne des tensions qui traversent le champ poétique actuel à cause de la difficile cohabitation entre la notion de sujet lyrique, héritée de la modernité, et l’émergence de nouvelles façons de créer de la poésie par d’autres moyens.

3. Lyrisme et transmédialité

Une fois de plus, nous nous trouvons face à une situation complexe qui n’admet pas de descriptions simples. D’une part, et si nous nous fondons sur la notion de lyrisme dans son sens le plus ancien d’un point de vue médiatique, performatif et historique, il est évident que, dans la configuration technologique et communicative actuelle, la poésie latino-américaine a renoué les vieux liens qui l’unissent à la musique et au chant. En effet, l’un des courants les plus fertiles et les plus dynamiques est, aujourd’hui, celui de la poésie musicale, une réédition contemporaine du lyrisme, qui ne se manifeste pas seulement dans le récitatif des poètes du spoken word, comme le dominicain Frank Báez ou le Portoricain Uroyán Noel, mais qui acquiert également des formes plus complexes dans les œuvres du Chilien Felipe Cussen et de l’Orchestra des Poètes. Comme le montrent les archives audiovisuelles du festival PM (Poetry & Music), organisées à Santiago du Chili depuis plusieurs années, cette tendance rassemble déjà des générations et des voix aussi diverses que Raúl Zurita et Cid Campos, ou que Cecilia Vicuña et Reynaldo Jiménez. Tous participent à ce type d’expériences qui visent à donner aux vers une musicalité plus riche que celle de la phonétique, un rythme qui n’est pas seulement celui de la prosodie et un espace qui ne se limite pas à celui de la page imprimée.

Mais, en même temps, ce type de pratiques transmédiales est en train d’éroder l’idée du lyrisme héritée des romantiques et dont les avatars, plus ou moins altérés, traversent le XXe siècle latino-américain. Ainsi, le principe d’une énonciation constituant une transcription de la centralité d’une conscience vouée à la construction d’une subjectivité unique, d’une énonciation dominée par l’introspection, par la réflexivité et par l’enregistrement d’une sensibilité en temps présent, d’une énonciation, en résumé, qui se traduit par l’expression d’un monologue intérieur capable d’imposer un certain climat de communication et d’établir les conditions d’un échange intime et exclusif avec le lecteur, ce mode d’énonciation et ses caractéristiques sont soumises aujourd’hui à rude épreuve par les pratiques transmédiales. De fait, la transmédialité a été soulignée dans plusieurs études récentes comme l’un des facteurs qui nourrissaient les courants anti-lyriques ou post-lyriques de la poésie contemporaine en langue espagnole. Le théoricien Arturo Casas, par exemple, estime qu’il est possible de distinguer au moins trois constantes ou régularités dans la définition actuelle de l’anti-lyrisme ou du post-lyrisme, qui sont liées aux nouveaux médias de la poésie: premièrement, la production d’une capacité d’énonciation inédite dans un champ discursif donné, ce qu’Arturo Casas rapproche de la notion de subjectivation chez Jacques Rancière; deuxièmement, la conceptualisation du poème en tant qu’événement; et, enfin, l’apparition dans la praxis poétique d’une nouvelle compréhension du public et du politique (83-102).

En Amérique latine, cette tendance s’affirme de plus en plus à l’aube du XXIe siècle, car tant la poésie écrite aujourd’hui sous forme numérique, que celle à laquelle la sphère numérique permet de circuler, ainsi que celle qui est enregistrée et diffusée sur internet en tant que performance, se sont éloignées de la qualification lyrique. Il est ainsi pratiquement impossible d’identifier en tant que «lyrique» l’algorithme du générateur automatique de textes de Eugenio Tiselli, ou les voix multiples qui traversent les compositions de Rocío Cerón, ou les lettres qui constituent les propositions conceptuelles de Eduardo Kac, pour ne citer que trois exemples que nous avons commentés. Les sujets de ces pratiques poétiques interviennent différemment dans leur espace d’énonciation et ouvrent le champ de la poésie à d’autres registres créatifs dans une expansion sans précédent. En outre, le poétique ne se limite plus à l’apparition d’un poème en tant qu’écriture sur une page imprimée, mais peut se manifester visuellement en tant que processus et en tant qu’archive de ce processus, ou en tant que performance qui renouvelle indéfiniment l’identité de l’œuvre, ou comme la virtualité même de l’acte d’écrire.

Le débat actuel sur le lyrisme est le fruit de cette conjoncture. Il est devenu en Amérique latine un thème pour l’écriture poétique elle-même, comme l’illustre le célèbre livre de l’Argentin Ezequiel Zaidenberg, La lírica está muerta (2011), qui en vient paradoxalement à prouver le contraire de ce que son titre affirme. Mais aussi ironique que cela puisse paraître, il est en même temps un signe des tensions qui traversent le champ poétique latino-américain en ce moment de transition entre une poésie conçue à l’intérieur de l’espace du privé et de l’intime, comme une construction écrite d’un sujet individuel identifié avec son propre langage, et un ensemble de pratiques collectives, procédurales, multimédias, publiques et politiques qui se développent à partir de positions divergentes avec ce passé et dont l’objectif principal n’est plus la production d’un objet verbal imprimé. Il convient aussi d’ajouter que cette opposition entre deux mondes est particulièrement visible en tant que critique appuyée du sujet et de la figure du poète moderne dans le vaste continent que forme la poésie jeune, performative et orale. Il convient de citer ici, à titre d’exemple, la version d’un poème bien connu de Taylor Mali, «Je pense que je pourrais être un poète», que nous devons à la satire dévastatrice et provocante du duo de Poesía Estéreo à Buenos Aires: https://www.youtube.com/watch?v=m3-tZeC12lA.

Écouter ces jeunes voix doit nous conduire non seulement à nous rappeler que la poésie est antérieure à l’écriture, mais aussi à essayer de comprendre qui est leur public et quelles sont ses attentes. Car s’il est vrai que le problème de l’anti-lyrisme ou du post-lyrisme a été posé comme un problème du sujet de l’énonciation ou même de la figure sociale du poète, il devrait également être pris, comme le propose Arturo Casas, sur le territoire de la réception, en nous interrogeant sur l’émergence et la configuration d’un public de poésies performatives et orales en Amérique latine, nettement anti-lyriques ou post-lyriques, érigées aujourd’hui en témoins de l’émergence d’une nouvelle sensibilité, parfois à la limite d’un anti-intellectualisme dangereux.

À l’autre bout de la chaîne de communication, il convient également de repenser les tensions que les pratiques transmédiales soulèvent autour de la notion d’«auteur», puisque nous passons d’une création centrée sur la production d’une forme écrite à une autre dont les objets sont un concept, un événement et/ou un processus. Nous assistons à un passage du «moi» au «nous», d’une idée de la poésie en tant qu’acte souverain et individuel à une action entreprise par de nombreuses personnes dans le cadre de processus collectifs et collaboratifs exigeant des participants des compétences différentes. Disons qu’aujourd’hui «l’auteur» a tendance à se fragmenter et à se dissoudre, comme l’acte de création lui-même, comme si on passait d’une énonciation individuelle à une sorte d’énonciation éditoriale dans laquelle plusieurs médiateurs interviennent tout au long de la composition et même de la performance, de son enregistrement et de sa diffusion. C’est, à mon sens, ce que met en scène le travail d’équipe de groupes tels que l’Orchestra des Poètes ou Anima Lisa, très loin du débat moderne sur l’expressivité du sujet qui préside les relations entre intention et signification.

4. Frontières de la poésie?

Dans un essai récent, Claudia Kozak interprète le moment actuel de littérature étendue ou élargie un peu comme Borges lisait jadis les précurseurs de Kafka: «Nous pouvons voir qu’il y a eu des extensions de la littérature avant la lettre – écrit-elle – car à partir de la dernière partie du XXe siècle, la littérature élargie a commencé à proliférer et à nous entourer de la manière la plus évidente» («La literatura expandida en el dominio digital» 222). Dans le champ poétique contemporain, la transmédialité non seulement brouille, mais redéfinit les frontières de la poésie avec sa propre histoire, générant, ainsi que nous l’avons vu, de nouvelles façons de relire et de réécrire l’héritage des avant-gardes et des néo-avant-gardes du XXe siècle. Le réajustement actuel de la trame de la tradition passe par la nouvelle disponibilité des archives analogiques dans leur transition vers la numérisation, ainsi que par le développement de l’oralité et de la performativité en tant qu’instances de composition et de diffusion de la poésie. En ce sens, la transmédialité place la création actuelle dans le cadre des poétiques de la réécriture, que j’ai évoquées dans un autre essai, des poétiques qui cherchent un nouvel accord de temps à une époque marquée par le présentisme et la crise de l’horizon d’avenir (59-71).

Simultanément, la transmédialité est au cœur des tensions que traverse actuellement le champ littéraire latino-américain en ce qui concerne la place du livre imprimé, non seulement en tant que support traditionnel, mais également en tant qu’instance de diffusion et de reconnaissance. La poésie élargie constitue, en ce sens, un jeu de frontières qui se joue avec et contre la page écrite, dans une corrélation assez ambiguë, mais qui révèle cependant le décentrement du livre et son insertion dans une nouvelle écologie médiatique et communicative, problématisant en passant l’unité de l’œuvre, sa lecture et son interprétation. Dans le champ dense de la circulation poétique contemporaine, le corps du poème devient pluriel et la lecture de la poésie devient un exercice complexe qui ne peut pas ne pas tenir compte des versions transmédiales d’un texte ni de la nécessité d’analyser leur contenu, leur corrélation et leur hiérarchie.

Enfin, et c’est peut-être l’essentiel, la transmédialité constitue aujourd’hui l’un des moteurs et des théâtres du renouveau et de la crise du lyrisme. D’une part, la poésie semble avoir retrouvé la voix, la chanson et la performance, comme dans un heureux retour à ses sources premières. D’autre part, la montée des courants anti-lyriques ou post-lyriques, qui se sont configurés à la fin du XXe siècle, a conduit à une remise en question des frontières du genre, telles qu’elles avaient été définies par son mode d’énonciation, et elle a suscité un défi pour la figure publique du poète et pour le type de pratique artistique, sociale et politique que représente la poésie. Si, par le passé, il était toujours difficile de la définir, il semble maintenant que cette possibilité soit devenue encore plus improbable.

Cependant, il faut reconnaître que c’est bien cette impossibilité qui représente une partie incommensurable de sa richesse et de l’intérêt que la poésie peut avoir pour nous dans ces premières décennies d’un nouveau siècle. Car la poésie n’a pas perdu sa capacité de fonctionner comme l’un des principaux baromètres qui mesurent l’esprit d’une époque quand on sait la lire comme un élément perturbant et disruptif, qui met en évidence les tensions qui structurent le moment contemporain. C’est bien là, je pense, la fonction qu’elle remplit actuellement en mettant en scène, comme aucune autre forme de littérature, l’un des enjeux clef de notre culture. Je parle de la nécessité, de l’urgence de placer, au cœur même de la raison technique et de la société du spectacle, la demande libertaire d’une créativité sans condition.

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Notes
Pour citer cet article

Référence électronique

DOI: https://doi.org/10.26034/la.tdl.2020.1003

Guerrero, Gustavo. «Transmédialité et champ poétique: une excursion en Amérique latine». Théories du lyrique. Une anthologie de la critique mondiale de la poésie, sous la direction d'Antonio Rodriguez, Université de Lausanne, octobre 2020, https://lyricalvalley.org/blog/2020/11/03/transmedialite-et-champ-poetique-une-excursion-en-amerique-latine/.

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Auteurs

Gustavo GUERRERO

CY Cergy Paris Université, FR
Gustavo Guerrero est professeur d’histoire culturelle et de littérature hispanoaméricaine contemporaine à l'Université de Cergy Pontoise/Paris Seine et à l'Institut d'Etudes Politiques de Saint-Germain-en-Laye. Parallèlement, il est le conseiller littéraire de la maison Gallimard pour le monde hispanique et lusophone à Paris. Ancien élève de l’EHESS, il est auteur d’une thèse en histoire et théorie littéraire, dirigée par Gérard Genette. Il est aussi auteur des essais La estrategia neobarroca (Barcelone, 1988), Itinéraires (Caracas, 1997), La religion du vide (Mexico, 1998), Poétique et poésie lyrique (Paris, 2001), Historia de un encargo: La Catira de Camilo José Cela (Barcelone, 2008), Prix International Anagrama en SHS, et Paisajes en movimiento, literatura y cambio cultural entre dos siglos (Buenos Aires, 2018). Il a été professeur invité du programme d'études latino-américaines de l'Université de Princeton en 2009 et 2010. Entre 2011 et 2013, il a dirigé le séminaire ALLICCO: «Mondialisation, littérature et culture en Amérique latine», à l'Ecole Normale Supérieure de Paris. En 2014, il a été professeur invité à l'Université de Cornell, et en 2015 et en 2018, à l'Université de Berne. Actuellement, il dirige le projet interuniversitaire «Médiation éditoriale, diffusion et traduction de la littérature latino-américaine en France» (MEDET LAT) à l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Le volet numérique de ce projet, MAP-LAT, a été retenu et primé en 2018 par l’Initiative d’Excellence Paris-Seine. Un projet ANR a été déposé en 2018 afin d’élargir ce volet numérique.