Niccolò SCAFFAI
Résumé

Dans ce texte, qui fait partie du livre Le poète et son livre, l’auteur réfléchit sur la structure des macro-textes lyriques (le livre de poèmes), en distinguant entre une «rhétorique du projet», qui reflète la conception générale de l’auteur, et une «rhétorique de la succession», qui concerne les connexions intertextuelles. L’idée est que les critères rigides adoptés par la théorie du macro-texte de l’ascendance structuraliste peuvent être corrigés et intégrés. La proposition théorique qui est formulée ici repose sur le principe suivant: les formes d’organisation du macro-texte peuvent être interprétées à la lumière de quatre macro-figures majeures, à savoir la métaphore, la métonymie, la synecdoque et la négation. Dans l’extrait reproduit ici, les deux premières macro-figures sont prises en considération.

Mots-clés
CONNEXIONS INTERTEXTUELLES. MACRO-TEXTE. MÉTAPHORE. MÉTONYMIE. RHÉTORIQUE.
Plan
Article

1. Rhétorique du projet et rhétorique de la succession

Dans les chapitres précédents, nous avons observé comment la rhétorique «élargie» pouvait se révéler un instrument analytique pertinent pour l’appréciation des caractéristiques du livre de poésie. En effet, dans l’organisation du macro-texte, la juxtaposition d’éléments hétérogènes ne constitue pas l’infraction d’une norme, mais le fondement d’un projet global; et ce n’est pas toujours légitime, ou fructueux pour la détermination du sens, de rétablir une sorte de linéarité originaire, en vertu d’une intervention d’intégration sémiotique.

L’idée qu’entre les éléments d’un ensemble textuel il n’y ait pas une homogénéité de fond – une continuité nécessaire, peut-être corrompue, mais qu’on pourrait toujours chercher à restaurer – s’accorde avec ce que nous avons illustré jusqu’ici concernant la nature du macro-texte poétique. En effet, le livre de poésie, pas moins que le récit ou la métaphore, est une «synthèse de l’hétérogène» (Ricœur, Temps et récit 1, 11), dans la mesure où il est fondé sur la juxtaposition de textes indépendants, souvent éloignés sur le plan chronologique, métrique, stylistique ou thématique. L’hétérogène est toutefois conduit à une synthèse; dans plusieurs cas, c’est la disposition des textes qui rend certaines de leurs caractéristiques plus aisément percevables que les autres (également importantes lors de l’analyse). En quelque sorte, donc, c’est le livre même (c’est-à-dire son auteur, en collaboration tacite avec le lecteur) qui offre une synthèse de ses propres éléments.

La définition de Ricœur («synthèse de l’hétérogène»), dans le contexte où elle est formulée, a pour fonction d’établir une correspondance entre l’organisation d’un texte et une opération rhétorique (en l’espèce, la métaphore). La possibilité d’une telle correspondance donne une raison d’être à la théorie et à l’analyse des procédés méta-figuratifs (qui empruntent leur propre fonctionnement à quatre figures fondamentales: métaphore, métonymie, synecdoque et ironie/négation). Toutefois, comme il a été récemment décrit (Bottiroli), la théorie des méta-figures a des implications qui vont au-delà du but des études de Ricœur1. Premièrement, elle permet de dépasser la traditionnelle définition du trope comme écart, puisqu’on considère l’organisation globale des éléments présents dans le texte. Deuxièmement, l’extension du procédé – de l’unité étroite du mot ou de la phrase à celle, plus large, du texte – amène à l’élargissement des horizons rhétoriques: en particulier, reconnaître à l’elocutio une portée textuelle (et macro-textuelle) signifie conférer au style un rôle fondamental dans l’architecture globale du texte. Troisièmement, l’identification d’un procédé figuratif permet, comme nous le verrons mieux par la suite, de percevoir l’orientation organisationnelle d’un ensemble complexe de textes, même dans les cas où les lois structurales ne semblent pas applicables.

Dans le macro-texte, les procédés méta-figuratifs relèvent de deux niveaux différents: l’intérieur du livre, c’est-à-dire dans la succession entre deux ou plusieurs textes particuliers; l’extérieur (ou le dessus) du livre, et dans l’intention, ou mieux le projet, sur la base duquel l’auteur pense et motive l’œuvre dans son ensemble (au-delà des solutions adoptées pour la connexion de textes individuels). Il est possible, en d’autres termes, de distinguer une rhétorique de la succession d’une rhétorique du projet.

Il ne s’agit pas de réhabiliter la traditionnelle séparation des compétences entre elocutio et dispositio. Distinguer deux niveaux dans l’organisation du livre signifie, plutôt, confirmer l’articulation du macro-texte. Évaluer le projet distinctement (mais pas séparément) de la succession n’équivaut pas à interrompre la continuité entre les deux niveaux, mais plutôt à reconnaître qu’entre les deux il existe une place où se croisent l’agencement du livre et son sens final – sans donc qu’un livre entier ne soit lu au vu d’un seul procédé figuratif.  

L’observation de la structure macro-textuelle est souvent limitée au relevé des liens entre les textes juxtaposés: sur le plan méthodologique, il s’agit d’une opération à la fois ponctuelle (parce qu’elle exige une lecture attentive et, je dirais, microscopique des poésies) et générique (d’un côté, parce que, à l’intérieur de l’œuvre d’un même auteur, les liens fondés sur les homologies lexicales ou sur les consonances thématiques peuvent être accidentels, de l’autre côté, parce que l’habitude à organiser les textes en séquence et ensuite les réunir dans un livre est largement répandue et, donc, ajoute peu à l’exégèse d’un ouvrage particulier). Également, des apories se présentent pour d’autres éléments fondamentaux de l’analyse macro-textuelle, codifiés dans le milieu structuraliste2: par exemple, les textes dispositifs et la progression du sens. Pris hors de son contexte, un texte dispositif qui occupe la fonction d’incipit, de jointure ou d’explicit perd toute pertinence avec l’analyse macro-textuelle; d’autre part, plongé dans la séquence décidée par l’auteur, sacrifie sa propre particularité thématique ou formelle, à cause du livre ou de la section dont il fait partie. Mieux vaut donc nuancer la perspective paradigmatique au profit de la syntagmatique, en soulignant, plus que le caractère exceptionnel du thème ou de la forme des textes, le rapport qu’ils entretiennent avec l’ensemble (même si pas toutes les stratégies d’auteur sont sophistiquées au même degré et que dans aucun cas, un livre doit être construit comme une mosaïque, où chaque pièce trouve précisément sa place en s’ajustant aux autres).

La valence et la nature même de la progression du sens sont encore plus ambiguës. Les problèmes concernant cet aspect ont été déjà traités; en résumé, on peut observer comment la progression: 1) devrait être dépouillée du prisme de la nécessité que lui a attribuée la méthode structurale, étant donné que la progression change de trajectoire en fonction de la disposition des textes (et non l’inverse); la conception traditionnelle mérite donc des critiques similaires à celles avancées contre la priorité de la fabula par rapport à l’intrigue3; 2) ne coïncide pas avec le contenu sémantique du livre, mais avec sa ligne narrative, à laquelle on peut attribuer, tout au plus, une fonction de transmission; 3) résulte souvent d’une stratification chronologique des textes et est le reflet de l’histoire personnelle de l’auteur; 4) n’est nullement indispensable pour qu’un livre de poésie puisse être considéré comme tel. La dernière est la critique la plus extrême, mais elle résulte de la constatation des faits: il existe, comme nous le verrons, des livres sans progression, tels que Lavorare stanca («Travailler fatigue») de Pavese ou Le Parti pris des choses de Ponge, et toutefois ils ne manquent pas de cohérence et d’une organisation calculée.

La présence d’isotopies – condition canonique, entre autres – semble au moins concilier l’imagery d’un texte avec son organisation, puisque la répétition d’images semblables et des mots correspondants est la condition préalable de chaque lien intertextuel. Cependant, la répétition n’explique pas en elle-même le type ni le but du lien: la fondamentale distinction entre liens d’équivalence et liens de transformation suggère que, afin de comprendre la substance du lien intertextuel, il ne suffit pas de circonscrire un point commun à deux ou plusieurs textes, mais il faut interpréter ces liens par rapport au sens et à l’ensemble. C’est bien l’interprétation qui permet de distinguer au moins deux opérations stratégiques différentes, l’équivalence et la transformation. La présence d’isotopie est aussi une condition qui doit être décrite et examinée au vu de l’organisation et du sens, à travers un procédé de nature rhétorique, qui suscite une synthèse entre différents aspects du texte. L’équivalence et la transformation sont deux de ces procédés4; ils ne sont toutefois qu’applicables au domaine de la succession, et plus difficilement à celui du projet. Ce genre de lien concerne typiquement une paire (ou de courtes séquences) de textes à la fois; il n’y aurait donc aucun sens à dire que le projet d’un livre est inspiré par le principe d’équivalence ou de transformation, car il manquerait un terme de comparaison fixe – le texte A par rapport auquel le texte B (le livre dans son ensemble) établirait un rapport d’équivalence ou un lien5.

En revanche, les procédés empruntés à quatre figures fondamentales – métaphore, métonymie, synecdoque, négation – peuvent expliquer les liens de plus grande envergure et, parfois, illuminer le sens d’un projet macro-textuel, là même où il n’y a pas de liens ponctuels. La théorie des méta-figures peut contribuer à dépasser le cloisonnement qu’on observe parfois dans l’analyse structurale. Les conditions macro-textuelles évoquées ci-dessus sont souvent vérifiées indépendamment l’une de l’autre, c’est-à-dire, sans les utiliser pour l’identification de la stratégie globale qui sous-tend l’organisation du texte. La dispositio décrit la succession et la structure, mais peut difficilement expliquer la fonction des astuces individuelles par rapport au «style» figuratif de l’auteur, et au projet.

Une dernière remarque. Il est illusoire de penser pouvoir ramener tous les phénomènes dispositifs et les critères qui ont inspiré les infinis projets des livres de poésie du XXe siècle à quatre procédés rhétoriques fixes; il faudrait toujours établir des distinctions au sein de chacune des quatre méta-figures, en précisant à chaque fois (et pour chaque livre) quel est le point de vue adopté pour distinguer, par exemple, une synecdoque ou une métaphore, et quel sens ou fonction elles ont dans le macro-texte. Les raisons du texte imposent une souplesse hors de modèle préétabli; par ailleurs, le pari rhétorique de ce chapitre consiste à montrer comment le recours aux méta-figures esquisse – mieux que les autres instruments analytiques – le profil macro-textuel de livres ou sections «transgressifs» à l’égard des lois structurales rigides. Le principe est celui de respecter les exigences des textes avant celles du schéma, dans le but de rendre les méta-figures, non pas des secteurs d’une grille à remplir, mais des outils interprétatifs.

2. Métonymie

Comme évoqué ci-dessus, il est possible de distinguer un projet macro-textuel même en l’absence de certains éléments (tels que la progression du sens), qui par habitude sont considérés par la critique comme nécessaires et suffisants à la forme-livre. Afin d’expliquer le paradoxe, il convient de partir de la figure de la métonymie. Bien que traditionnellement elle ait été considérée proche de la synecdoque (jusqu’à la confusion ou à l’inclusion de la synecdoque dans le cadre de la métonymie, comme cas particulier), plus récemment la métonymie a été efficacement distinguée des autres figures, considérées comme moins similaires: la synecdoque, justement, et la métaphore (Bottiroli chap. I). En particulier, alors que la synecdoque se base sur le principe d’inclusion et la métaphore sur celui d’intersection, la métonymie exprime le principe de contiguïté (Bottiroli 37)6. Dans le champ macro-textuel et, en particulier, au niveau de la succession, un critère métonymique «fort» – une séparation nette des champs de chaque texte – risquerait de contredire le statut libre du livre de poésie. S’il n’y avait pas de zone de contact entre les différentes poésies, on ne pourrait pas parler de macro-texte ou de livre: on serait plutôt en présence d’un recueil, auquel l’auteur ou le compilateur n’a pas voulu (ou n’a pas su) donner une quelque forme d’organisation. Sauf pour les publications d’anthologies rassemblées hâtivement pour la fruition immédiate d’un public moins informé, il est très rare que les textes d’un auteur contemporain soient réunis dans un non-livre de ce genre.

Il y a toutefois des cas de métonymie forte (c’est-à-dire, qui prévoit l’alignement de textes dont les différences mutuelles, thématiques et formelles sont intentionnellement plus flagrantes que les similitudes), qu’on peut justifier en analysant le projet. Entre projet et succession, il y a une tension et elle doit être interprétée. Un exemple est offert par la troisième section de la Bufera («Tourmente») de Montale, intitulée Intermezzo («Interlude») et contenant des textes très hétérogènes entre eux: Due nel crepuscolo, un poème lyrique récupéré d’un vieux carnet datant de 1926 (trente ans avant la publication de la Bufera); Dov’era il tennis… et Visita a Fadin, deux proses qui interrompent la continuité formelle du livre (cas unique dans l’œuvre en vers de Montale). Il n’y a pas de liens d’une certaine incidence stratégique entre les textes, mais uniquement des consonances génériques (plus évidentes entre les deux proses, qui partagent, du moins, la forme). La faiblesse dans la tenue de la section (insolite, vu l’habitus organisationnel de Montale) ne s’explique qu’au vu du projet global: dans l’ensemble de la Bufera, Intermezzo a la fonction principale de documenter l’histoire artistique de l’auteur, à travers trois épisodes lyriques déliés l’un de l’autre. La cohérence de la section dans le livre est donc garantie, quoiqu’en renonçant à l’habituelle cohérence dans la succession.

Les cas de métonymies «faibles» sont fréquents. La faiblesse est due au fait que, entre textes contigus, même sans zones de contact, on observe une certaine homogénéité. Dans ce cas, il n’y a pas de progression d’un texte à l’autre, mais la récursivité thématique ou formelle est évidente. La répétition d’éléments de style et contenu entre l’un et l’autre texte concerne la succession; le dessein global et les motivations qui ont conduit les auteurs à renoncer à la progression au profit d’un autre critère regarde le projet. Les exemples que nous allons examiner sont doubles – proches sur le plan chronologique (1936 et 1942), loin sur le plan typologique –: Lavorare stanca de Cesare Pavese et Le Parti pris des choses de Francis Ponge. Si dans la section du troisième livre de Montale on observe une tension entre succession et projet, dans ces deux ouvrages les deux aspects se trouvent en conciliation.

Il faut d’abord souligner, dans le livre de Pavese, le projet, dont la substance a été illustrée par l’auteur-même dans Il mestiere di poeta («Le métier de poète»); en particulier, dans ce texte, il se montre sceptique à l’égard de l’idée d’un livre en tant que construction, en tant que succession de moments non équivalents, mais liés de manière hiérarchique:

Au lieu de suivre l’évolution naturelle d’une poésie à l’autre, à laquelle j’ai fait allusion, certains préféreront découvrir dans le recueil ce que l’on appelle une construction, en somme une hiérarchie de moments qui exprime une idée plus ou moins importante, essentiellement abstraite, peut-être ésotérique, et traduite de cette façon en formes sensibles. Je ne dis pas que l’on ne puisse découvrir dans mon recueil de ces idées, et même plus qu’une, je nie simplement les y avoir mises7.

Dans la suite du texte, il souligne l’absence, même dans les «réels ou supposés chansonniers», d’une véritable progression du sens. Il ne s’agit pas de réfuter ici les observations de Pavese, mais plutôt d’en évaluer la portée poético-idéologique par rapport au macro-texte de Lavorare stanca. Dans la première version, le livre se composait de quarante-cinq poésies, sans répartition en secteurs. La deuxième rédaction, publiée chez Einaudi en 1943, se compose de septante poésies. Certaines pièces de l’édition de 1936 sont supprimées, d’autres pièces sont déplacées de leur position originaire; et Pavese introduit la division en six sections8. Cette dernière modification est particulièrement importante sur le plan macro-textuel. Sectionner le livre équivaut à reconnaître soit une analogie thématique entre les textes de chaque section (c’est le cas de Lavorare stanca 1943), soit une constance formelle, soit, encore, une progression entre les «épisodes» d’une section et ceux de la suivante. Nous savons que, à la moitié des années 1930, coïncidant avec la première rédaction du livre et avec l’élaboration de l’essai Il mestiere di poeta (1943), Pavese n’était pas favorable à l’adoption de tels critères structuraux (également, il n’en reconnaissait pas la fonction – et même la présence – dans des livres canoniques comme Les Fleurs du mal ou Leaves of Grass). En revanche, dans les années 1940, la position de Pavese au sujet de la forme-livre semble plus nuancée et tolérante: l’auteur affirme, dans l’essai A proposito di certe poesie non ancora scritte («À propos de certaines poésies non encore écrites»), que les «affirmations [contenues dans Il mestiere di poeta] et ses orgueils apparaissent dépassés» (Pavese, n. 1).

L’harmonie entre l’idée de livre présentée dans l’essai de 1934 et l’organisation de Lavorare stanca (1936) permet de lire cette rédaction comme un anti-canzoniere («anti-chansonnier»), une forme qui, selon l’intention de l’auteur, devrait se passer de la concaténation (pseudo)narrative des livres structurés. D’autre part, en intégrant simplement le matériel de la première rédaction et en déplaçant des textes, Pavese a pu préparer une deuxième version du recueil, beaucoup plus canonique sur le plan de l’organisation: par exemple, le nombre des sections de Lavorare stanca (1943) – six – est le même que celui des Fleurs du mal, livre duquel l’auteur voulait prendre ses distances en 1934.

Cela aussi parce que, déjà en 1936, le livre n’était pas du tout un recueil sans une conformation globale. L’organisation du premier Lavorare stanca se fondait, plutôt que sur la progression, sur la contiguïté entre unités narratives indépendantes: il s’agit, en ce sens, d’un principe de type métonymique. La contiguïté est instaurée d’une part par la cohérence dans l’application des solutions expressives et du mètre narratif inventé par Pavese, et de l’autre à travers la constance de l’imagery et, généralement, du contexte humain et géographique auquel les textes se réfèrent. 

Certaines constantes expressives montrent une spécifique corrélation avec le cours métonymique du livre. Ces constantes, qu’on peut percevoir grâce à la juxtaposition d’un texte à l’autre, sont sur le plan de la succession. Tout d’abord, plusieurs poésies ouvrent avec une image – sorte de tableau introductif – dont l’extension coïncide premièrement, et généralement, avec la période ou, au moins, avec la proposition initiale du texte. Il s’agit soit d’une ébauche de la nature ou du paysage, soit d’un portrait d’une figure humaine, soit de la description d’un geste, presque gravé dans les vers de l’incipit:

«Camminiamo una sera sul fianco di un colle, / in silenzio.» (I mari del Sud); «Non è più coltivata quassù la collina» (Paesaggio); «Troppo mare» (Gente spaesata); «Deola passa il mattino seduta al caffè / e nessuno la guarda.» (Pensieri di Deola); «Tutti i gran manifesti attaccati sui muri, / che presentano sopra uno sfondo di fabbriche / l’operaio robusto che si erge nel cielo» (Ozio); «La collina biancheggia alle stelle, di terra scoperta» (Paesaggio); «Questa donna una volta era fatta di carne / fresca e solida» (Una stagione); «Mangio un poco di cena seduto alla chiara finestra.» (Mania di solitudine); «Quel vecchione, una volta, seduto sull’erba, / aspettava che il figlio tornasse col pollo / mal strozzato, e gli dava due schiaffi.» (Il tempo passa); «Il meccanico sbronzo è felice buttato in un fosso.» (Atlantic Oil); «Papà beve al tavolo avvolto da pergole verdi / e il ragazzo s’annoia seduto.» (Città in campagna); «Sotto gli alberi della stazione si accendono i lumi.» (Gente che non capisce); «Coi canneti è scomparsa anche l’ombra.» (Casa in costruzione); «Il ragazzo respira più fresco, nascosto / dalle imposte, fissando la strada.» (Civiltà antica); «Questo è un uomo che fuma la pipa.» (Cattive compagnie); «L’ubriaco si lascia alle spalle le case stupite.» (Indisciplina); «Le colline insensibili che riempiono il cielo / sono vive nell’alba, poi restano immobili / come fossero secoli, e il sole le guarda.» (Paesaggio); «I lavori cominciano all’alba.» (Disciplina); «L’uomo fermo ha davanti colline nel buio.» (Legna verde); «Quello morto è stravolto e non guarda le stelle:/ha i capelli incollati al selciato» (Rivolta); «Quel ragazzo scomparso al mattino, non torna.» (Esterno); «La finestra che guarda il selciato sprofonda / sempre vuota.» (Ritratto d’autore); «Questo è un uomo che ha fatto tre figli» (Maternità); «Questo è un vecchio deluso, perché ha fatto suo figlio / troppo tardi.» (Ulisse); «Sulla nera collina c’è l’alba e sui tetti / s’assopiscono i gatti.» (Avventure); «Le ragazze al crepuscolo scendono in acqua, / quando il mare svanisce, disteso.» (Donne appassionate); «Al di là delle gialle colline c’è il mare, / al di là delle nubi.» (Luna d’agosto); «Parla il giovane smilzo che è stato a Torino» (Terre bruciate).

En outre, six poésies de Lavorare stanca s’intitulent Paesaggio («Paysage»). Les images (développées tout au long du texte, jusqu’à composer un noyau narratif) représentent, en effet, autant de tableaux naturels et humains de Santo Stefano Belbo (ou quand même du paysage natal des Langhe). Le fait que la description se situe souvent au début du texte – et, en plus, à l’intérieur des limites syntactiques de la première phrase ou de la première période – contribue à l’autonomie du paysage-image par rapport à un je lyrique qui, anti-romantiquement, ne s’étend pas au contexte de ses propres perceptions émotives. Le contexte – décrit au début de la poésie – acquiert une objectivité réaliste (quelquefois, comme l’on a évoqué, ébauchée), à laquelle collaborent surtout les personnages (Deola, Masino, l’ivrogne, le prêtre etc.). Ces personnages, qui renforcent la tenue narrative interne à chaque texte, s’emparent d’une grande partie de l’espace généralement réservé au protagoniste, au sujet lyrique, dont le chant est d’ailleurs limité au minimum par les inserts de discours direct, propositions interrogatives, et fragments de dialogue à la charge des personnages secondaires:

«‘Tu che abiti a Torino…’/ mi ha detto ‘… ma hai ragione. La vita va vissuta/lontano dal paese’ […]»; «Mio cugino si ferma d’un tratto e si volge: ‘Quest’anno /scrivo sul manifesto: – Santo Stefano / è sempre stato il primo nelle feste / della valle del Belbo – e che la dicano / quei di Canelli’». (I mari del Sud); «Il signore di ieri, svegliandola presto, / l’ha baciata e condotta (mi fermerei, cara, / a Torino con te, se potessi) con sé alla stazione / a augurargli buon viaggio.»; «Ci vorrebbe la voglia che aveva Marì, per durare / in pensione (perché, cara donna, gli uomini / vengon qui per cavarsi capricci che non glieli toglie / né la moglie né l’innamorata)» (Pensieri di Deola); «Perché vergogna? Quando uno ha pagato il suo tempo, / se lo lasciano uscire, è perché è come tutti» (Canzone di strada); «Lui Masino ha risposto che canta per niente / ogni volta che ha voglia, ma andare a svegliare le serve / per le strade, è un lavoro da napoli.» (Ozio); «‘Che sogno’, ha osservato colei / senza muovere il corpo supino, guardando nel cielo.» (Tradimento); «Ma quelle lo assordano / ‘Per avere ’sto figlio, bisogna passare da noi’». (Disciplina antica); «Chi sa se ha mangiato / quel ragazzo testardo?»; «Chi sa se il ragazzo finisce / lungo un fosso, affamato?» (Esterno); «Tra poco mi chiede: / Lo ricordi quel negro che fumava e beveva?» (Mediterranea).

Ces constances stylistiques et expressives contribuent au dépassement des situations lyriques traditionnelles, à la limitation de l’hégémonie d’un je lyrique, dont l’influence sur le texte et sur le monde représenté avaient grandi pendant l’époque romantique, grâce au fait que la figure du protagoniste était plus ou moins parfaitement superposable à celle du poète. Dans Lavorare stanca, l’ingérence de cette figure paraît beaucoup plus limitée qu’elle ne l’était, à cette époque (et encore, du moins, au cours des deux décennies suivantes), dans la poésie hermétique.

Dans ce sens, l’utilisation des déictiques, surtout dans l’incipit – une tournure très fréquente dans Lavorare stanca –, peut être interprétée comme un signal de l’espacement et de l’émancipation du sujet ou, à l’inverse, une confirmation de l’objectivation (comme si le protagoniste lyrique jugeait insuffisante son autorité et il aurait besoin d’attester une fois de plus l’existence des choses dont il parle):

«Questa donna una volta era fatta di carne» (Una stagione, v. 1); «Quel vecchione, una volta, seduto sull’erba» (Il tempo passa, v. 1); «A quest’ora è ancor umido / di rugiada» (Atlantic Oil, vv. 7-8); «Gella sa che a quest’ora sua madre ritorna dai prati» (Gente che non capisce, v. 2); «Questo è un uomo che fuma la pipa» (Cattive compagnie, v. 1); «Quello morto è stravolto» (Rivolta, v. 1); «Quel ragazzo scomparso al mattino, non torna» (Esterno, v. 1); «Questo è un uomo che ha fatto tre figli» (Maternità, v. 1); «Questo è un vecchio deluso» (Ulisse, v. 1); «Il martello/di quell’uomo seduto» (Atavismo, vv. 2-3); «Quest’è il giorno che salgono le nebbie dal fiume» (Paesaggio, v. 1).

Tableaux isolés et indépendants, présence de personnages réalistes, choses et images en partie libérées par le contrôle du je lyrique: l’alignement des trois aspects soutient le rapport entre le cours métonymique du livre et le refus programmatique manifesté par Pavese à l’égard des «réels ou supposés chansonniers conçus», durant les années où il travaillait à la première rédaction de Lavorare stanca. Le fil de la narration, liant thématiquement beaucoup de livres de poésie, est tendu par un sujet lyrique, dont l’histoire existentielle, amoureuse, de formation est transposée dans l’œuvre globale. Dans certains cas, cette transposition devient une représentation de la biographie idéale de l’auteur, simulant une coïncidence avec le protagoniste. C’est la narrativité macro-textuelle des chansonniers; l’autre chose est l’opération logique et rhétorique de la métonymie: en étant basée sur la contiguïté, l’effet narratif sera le résultat de l’intersection et des renvois entre les textes. Ceci ne signifie pas que Lavorare stanca serait un livre moins cohérent que ne le sont, par exemple, les Occasioni («Occasions» [Montale]) ou le Canzoniere («Chansonnier» [Saba]). Donc, dans le cas du livre de Pavese, l’identification d’une méta-figure permet de mieux reconnaître la correspondance entre la poétique de l’auteur et le système rhétorique déployé dans le texte.

En conclusion, les mots de Pavese même consacrent le parallèle; ils ont été prononcés dans le but de justifier (non seulement sur le plan de la poétique, mais également sur celui de l’éthique) ses choix de composition, peut-être aussi au-delà des mêmes résultats atteints dans le livre de 1936. Si le «goût» du poète veut «une expression essentielle de faits essentiels», c’est le style qui peut l’émanciper des contraintes de l’«abstraction introspective habituelle»:

Tout d’abord, précisément le style objectif me consolait un peu avec sa solide honnêteté: l’allure vigoureuse et le timbre net que je lui envie encore9.

Le style objectif vers lequel tend Pavese ne prévoit pourtant encore le résultat extrême: une poésie qui parle uniquement des objets et qui accorde au sujet uniquement le rôle d’observateur. À un tel résultat tend le livre plus important – du moins sur le plan théorique – de Francis Ponge: Le Parti pris des choses. Une œuvre qui, à la rigueur, n’appartient pas au genre «livre de poésie»; il s’agit plutôt d’une série de petits poèmes en prose, dont le morcellement des paragraphes peut parfois imiter visuellement la configuration d’un texte poétique divisé en strophes. Cependant, il est possible de montrer comme le choix formel de Ponge évoque des questions de poétique, concernant, comme nous le verrons, le statut du sujet lyrique.

À propos de cette œuvre, capable de se charger, dans la poésie, de la réflexion sur la poésie même et sur le langage (en avance sur les expériences semblables de la néo-avant-garde italienne), Ponge a utilisé le terme asymptote10. En géométrie, l’asymptote est la «ligne droite qui, indéfiniment prolongée, s’approche continuellement d’une courbe sans jamais la toucher»11. L’impossibilité de rattraper la ligne droite par la courbe représente un degré ultérieur (et presque paradoxal) par rapport à la tangente en un point (c’est-à-dire, par rapport à la contiguïté entre deux courbes). Pour Ponge, l’asymptote peut représenter spatialement l’impossibilité idéale de dominer la chose à travers sa description. La chose reste valide en soi et pour soi: «Sans beaucoup d’autres qualités, – mûres, parfaitement elles sont mûres – comme aussi ce poème est fait» (Les mûres). Si jamais, comme le final du livre l’avertit, c’est la chose qui finit par maîtriser son observateur, en lui imposant une conversion de sujet en objet: «Ayant entrepris d’écrire une description de la pierre, il s’empêtra» (Le galet).

Si le sujet n’a pas la possibilité de se charger et de réinterpréter les éléments de la réalité extérieure, il ne peut même pas leur imposer une organisation, répondante à sa propre volonté, ou à un dessein ordonné (à la limite, à un dessein biographique, où l’objet n’est pas autonome, mais à une valeur symbolique déchiffrable uniquement dans le contexte, où le sujet, à savoir l’auteur, l’a placé, et uniquement grâce aux clés de lecture fournies par l’auteur). Prendre le parti des choses signifie, littéralement, se ranger à côté des choses, participer (même émotivement) à leur existence, jusqu’à même éprouver de la pitié pour leur passivité envers un sujet «oppresseur»:

Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l’oppression? – L’éponge n’est que muscle et se remplit de vent, d’eau propre ou d’eau sale selon: cette gymnastique est ignoble. L’orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, – et ce sacrifice odorant… c’est faire à l’oppresseur trop bon compte vraiment. (L’orange)12

L’espoir est de pouvoir renoncer totalement à la présence de l’homme comme sujet: «enfin! l’on n’est plus là et ne peut rien reformer du sable, même pas du verre, et c’est fini!» (Notes pour un coquillage).

Sur le plan macro-textuel, l’expression plus cohérente d’une poétique qui met au premier plan l’objet peut se réaliser à travers le cours métonymique; à savoir, en alignant une série de choses juxtaposées l’une à l’autre, sans aucune orientation ou lien (sauf, parfois, celui de l’affinité de genre ou d’espèce, tel que dans la séquence Le mollusque, Escargot, Le papillon ou dans la paire Bords de mer et De l’eau). Donc, dans ce cas, il y une coïncidence presque parfaite entre les critères de succession et les motivations du projet. À cet égard, on doit souligner que si l’on n’admettait pas la possibilité d’un critère métonymique, la poétique de Ponge, formulée par lui-même de manière plus que jamais explicite, apparaîtrait étrangère à l’organisation du livre; il est fort probable que d’un point de vue structural Le Parti pris des choses apparaîtrait comme un non-livre, puisqu’il manque d’une nette progression de sens, de textes dispositifs aisément identifiables, d’un sous-thème qui structure et oriente le discours vers un résultat. Ceci, car le thème unifiant du livre est justement le renoncement à la centralité du sujet lyrique comme fonction interne à l’œuvre, comme personnage dont la présence autorise à une interprétation linéaire, factuelle, narrative du texte.

Les livres de Pavese et Ponge, expressions de deux modalités (réaliste pour le premier, ludique-expérimentale pour le deuxième) et de deux registres stylistiques presque opposés (l’un entre le tragique et l’élégiaque, l’autre «cosmicomique»), peuvent être placés sur deux points divers du même parcours: la destination finale pourra coïncider avec la «dérive de l’identité», objet d’études récentes sur la poésie contemporaine (Grignani 89-107)13. Entre la deuxième moitié des années 1930 et la première des années 1940, c’est-à-dire à l’époque de Lavorare stanca et Le Parti pris de choses, l’organisation métonymique représente plutôt un éloignement (et pas encore, peut-être, une dérive) des formes plus abusées d’un symbolisme, ou plutôt d’un mallarméisme, jamais disparus dans la poésie française et que, dans le milieu italien de cette période, évoluaient en l’hermétisme florentin. Ce n’est pas par hasard que, en 1940, un poète tel que Montale – souvent imputé d’obscurisme, mais en réalité, surtout à partir des Occasioni, éloigné de la poésie symboliste (et en effet, sur le plan rhétorique, plus enclin à la métonymie qu’à la métaphore et le symbole14) – prenne ses distances vis-à-vis de l’hermétisme («Je n’ai jamais cherché délibérément l’obscurité et donc je ne me sens pas qualifié pour vous parler d’un présumé hermétisme italien»15); il remarque ce qui suit:

Mais la tendance reste la même à travers ses infinies variations: vers l’objet, vers l’art investi, incarné, dans le moyen d’expression, vers la passion devenue chose. Ici, pour chose, nous n’entendons pas la métaphore extérieure, la description, mais seulement la résistance du mot dans son rapport syntactique, le sens objectif, conclu et pas du tout parnassien d’une forme sui generis, qu’on peut juger cas par cas16.

La poétique de Ponge, qui montre le rapport entre la chose et sa description en termes d’un paradoxe et d’un point insaisissable (l’asymptote), en renversant la hiérarchie entre sujet et objet en faveur du deuxième, représente le résultat extrême, sur le plan théorique et idéologique, d’un processus de réduction du pouvoir accordé au je lyrique. Forcé à pactiser avec les choses, celui-ci ne peut plus ni se renfermer dans l’espace subjectif du sentiment existentiel, ni, par conséquent, compter sur la répétitivité des situations lyriques pour fonder l’unité du livre. Ce sont les mêmes termes de la polémique de Pavese contre les «supposés chansonniers» (le même Montale, après les Occasioni, renouvellera avec La bufera e altro sa conception personnelle de livre poétique, en mêlant chansonnier et «roman»).

Sans la focalisation sur le critère métonymique, il aurait été certainement difficile de reconnaître en Ponge les signes et les formes d’une affinité avec poètes très lointains – même entre eux – pour style et thèmes, tels que Montale et Pavese. Cela surtout parce que l’écriture de Ponge hérite du surréalisme un répertoire d’idées et de formes17 très différent de celui, objectif et réaliste, adopté dans le courant majeur de la poésie italienne contemporaine. Ce n’est pas par hasard qu’en Italie, la «dérive de l’identité» a coïncidé – dans la deuxième moitié du vingtième siècle – avec la dérive du je lyrique et non avec la disparition du sujet; au contraire, son rôle a souvent été rempli par des personnages moins abstraits et génériques (l’exemple de Pavese a été directement ou indirectement accueilli) que ne l’était le protagoniste-poète des chansonniers traditionnels.

[…]

3. Métaphore

L’attraction entre la réalité et le texte trouve toutefois dans la métaphore, plus qu’en la synecdoque, le terrain idéel pour une application cognitive. Les études qui prêtent attention – plutôt qu’à la classification des différents types de métaphore – à sa fonction de modèle élaboré pour comprendre une réalité difficile à saisir ou à définir18 autorisent la lecture de cette figure comme un hypothèse d’interprétation du texte à travers le monde et du monde à travers le texte. L’objectif ici est d’illustrer, grâce à l’outil théorique offert par la métaphore, les modalités et l’incidence historico-littéraire de ces deux opérations rhétoriques et cognitives – opposés et complémentaires – dans l’organisation du livre de poésie du XXe siècle.

À cet égard, il convient d’abord de souligner que la métaphore consiste fondamentalement en l’intersection d’éléments de cadres sémantiques différents. C’est le principe que Ricœur définit, comme on l’a déjà rappelé, avec la formulation «synthèse de l’hétérogène»19. Avant d’assimiler la définition, il faut préciser que la synthèse ne peut pas coïncider avec la superposition et l’absorption – ce qui déclasserait la métaphore en catachrèse – et que, de l’autre côté, les éléments hétérogènes ne peuvent pas être juxtaposés selon une logique métonymique, mais dans le but de construire un rapport spécifique où, à l’origine, il n’y en avait aucun. Or, d’un côté, la tension entre exigence unifiant et diversifiant, de l’autre, l’identification d’un rapport entre éléments autonomes, sont deux des principes constitutifs du livre de poésie (au moins des livres où la connexion entre les textes est intensifiée ad hoc par l’auteur, pour donner à l’ensemble un effet en quelque sorte narratif). Donc, dans le champ macro-textuel, le critère métaphorique peut être avancé aussi pour définir la succession «narrative» des textes.

Ce ne serait rien d’autre que l’application de la comparaison, proposée par Ricœur, entre métaphore et intrigue narrative (deux aspects du même processus de synthèse). Néanmoins, le discours sur la métaphore et la narrativité requiert un développement en deux directions, au moins. La première est celle de la distinction entre la narrativité romanesque (ou de toute façon en prose) et la narrativité macro-textuelle. Généralement, comme on l’a montré pour les livres jusqu’ici analysés, le deuxième type de narrativité simplifie l’intrigue, la délivre de ses éléments primaires: la formation du protagoniste, la liaison avec une deutéragoniste, la séparation ou la mort. L’indétermination où le contexte est souvent plongé est une conséquence de l’étroite dépendance du récit à l’histoire émotive ou spirituelle du protagoniste lyrique. Ainsi, la forme de narrativité embryonnaire, c’est-à-dire de synthèse et de connectivité, qu’on a remarqué dans les chansonniers peut être considérée – c’est presque un oxymoron – comme une «narrativité lyrique». On a vu comment le XXe siècle renouvelle, du moins en partie, le contenu désormais abusé de cette histoire émotive: on a parlé d’arguments contextuels, dans le cas de ces livres où l’espace (et aussi la géographie réelle), le temps (et l’Histoire), l’actualité idéologique et politique acquéraient une évidence majeure. Dans ces cas, toutefois, la définition du contexte apparaît comme une question plus structurale que narrative: la fonction était surtout celle d’articuler la succession des textes, en suivant une progression linéaire de lieu ou de temps, et pas de donner une profondeur temporelle ou locale à l’histoire, en entrelaçant les actions du protagoniste avec celles des autres personnages présents dans un temps et un espace réalistes. On peut aisément constater que la réalité des lieux et des événements évoqués n’implique pas nécessairement une représentation réaliste et objective: Alcyone était un exemple idéal pour montrer comment à une géographie précise dans les noms et les directions correspondît une transfiguration totalement subjective et antiréaliste. On ne veut certainement affirmer seulement le réalisme de chaque chronotope romanesque; il est toutefois vrai que dans le roman il arrive souvent le contraire de ce qu’on a remarqué pour le lyrique: le chronotope fantastique peut recevoir un traitement totalement subjectif (conforme donc aux règles paradoxales de l’irréalité implicitement ou explicitement établie par le narrateur).

Le deuxième développement concerne le rapport métaphore/narrativité dans le macro-texte. Dans les livres de Saba et de Montale, qui seront analysés, on cherchera à distinguer une surface narrative ou factuelle et un noyau sémantique. En particulier, on observera comment la superstructure narrative a pour but de représenter le conflit (Saba) ou l’évolution dynamique (Montale) d’exigences différentes.

L’introduction d’un dessein narratif élémentaire aura donc pour fonction de proposer un modèle pour connecter et synthétiser les thèmes centraux de chaque livre (et peut-être aussi pour mettre en relief l’appartenance à un genre codifié). Or, cette fonction connective et synthétique paraît similaire aux opérations rhétoriques qui sont de la compétence de la métaphore. Ceci peut expliquer que, dans le livre de poésie, le rapport entre narrativité et métaphore dépasse le simple lien et atteigne un degré supérieur, celui de l’interaction. En d’autres termes, la narrativité est due à la présence de métaphores complexes, qui constituent l’unité thématique et idéologique du livre; entre elles, la principale est peut-être celle qui fait couper le champ sémantique du sentiment amoureux avec celui de la création poétique. Bien évidemment, l’interprétation du mécanisme analogique va changer d’auteur en auteur et de livre en livre. Dans le cas de la Bufera de Montale, une interprétation pourrait être, par exemple, la suivante: Clizia correspond à la poésie comme les valeurs éthiques et sentimentales qu’elle oppose à la «tourmente» historique correspondant à la fonction civilisatrice de l’écriture (et, en particulier, du livre). Dans le cas de Trieste e una donna («Trieste et une femme» [Saba]), l’équation pourrait être formulée ainsi: Lina coïncide avec le sens commun (incapable de cueillir le rapport entre «vrai» et «imaginé») comme le poète coïncide avec la transfiguration (que le sujet impose à la réalité). Entre les référents «amour» et «poésie» il n’y a pas un rapport de similitude direct, même si la iunctura des deux thèmes, comme l’on a vu, est de si longue date qu’on la dirait presque une métaphore éteinte, une catachrèse de l’imaginaire littéraire. Toutefois, dans certaines traditions, la métaphore est revitalisée grâce à un renouvellement de la composante narrative; dans la poésie anglaise (de Meredith à Lowell et à Hughes) ou, exceptionnellement, dans l’italienne, certains liens du schéma fixe du chansonnier d’amour sont développés ou inversés (même en s’inspirant, en partie, de d’autres genres, comme le roman ou le mélodrame). La trahison conjugale et la conséquente séparation entre le protagoniste et la muse proposent à nouveau la traditionnelle situation de distance entre sujet masculin et féminin, mais il en inverse la polarité éthique. D’autre part, la métaphore amoureuse, grâce à ses évidentes connotations littéraires, peut contourner les conventions au vu justement de l’intensité éthique de la muse, à laquelle est attribuée, par exemple dans l’œuvre de Montale, une mission salvifique.

Beaucoup d’auteurs, au moins jusqu’à toute la première moitié du XXe siècle, récupèrent la métaphore amoureuse, et la situation qu’elle implique, en recourant à un filtre utopique, c’est-à-dire, en regardant le monde réel d’une perspective idéelle. Sur le plan des connaissances, c’est toujours le monde qui a la priorité, et il fournit à l’auteur les instances idéelles; dans cette optique, le livre est le reflet utopique du monde, le refuge où le sujet lyrique peut exprimer une primauté que le sujet romanesque a désormais perdu depuis – du moins – le début du XXe siècle. On pourrait penser que, à travers l’orientation du livre de poésie, les auteurs veulent compenser la désorientation qui qualifie beaucoup de personnages du XXe siècle (même lyriques: Totò Merumeni [Gozzano], Arsenio [Montale], «les hommes creux» – The Hollow Men – de Eliot, les hétéronymes de Pessoa, etc.)

La direction du modèle est retournée par d’autres auteurs, qui reconnaissent au texte une portée cognitive. Si le modèle précédent était étroitement attaché à la succession des textes dans un livre, liées à une contrainte narrative, le nouveau envisage plutôt le projet global. Dans un cas, l’auteur considère comme acquis le statut linéaire, séquentiel et narratif, du monde, et il cherche à en reproduire partiellement les caractéristiques à travers la disposition des poèmes; dans l’autre cas, c’est la discontinuité du statut qui inspire la méthode de renouvellement de la conception linéaire. La succession, le paradigme, auront alors une importance mineure à l’égard du résultat global, au syntagme. Un des fondateurs du deuxième modèle est Eliot, et en particulier avec The Waste Land. L’unité des épisodes et des figures évoquées dans le macro-texte ne se fonde pas sur la mimesis d’une réalité linéaire et narrative, mais plutôt sur une série de liens et de renvois de nature typiquement rhétorique-textuelle.

Le recours aux «métaphores-phrases fondées principalement sur des allusions culturelles et l’association de faits historiques lointains» («metaforefrasi basate per lo più su allusioni culturali e associazioni di lontani fatti storici»; notre trad.; Della Volpe, repris dans Moretti 149) est essentiel à la technique d’Eliot. Les observations de Cleanth Brook sont très charmantes dans la forme, et bien plus complexes dans la substance: «[en lisant The Waste Land] nous expérimentons un sentiment de soudaine révélation à partir de matériels qui apparaissent agglutinés par hasard. […] Le fait que les personnages se fondent l’un dans l’autre est, naturellement, un angle de ce processus global. […] Pour les personnages, comme dans le cas des autres symboles, les rapports superficiels peuvent être casuels et apparemment banals, et ils peuvent être formés de manière ironique ou à travers le hasard, ou dans un état hallucinatoire; mais dans le contexte global de la poésie, les rapports profonds nous sont révélés. L’effet qui en découle est un sens d’unité de l’expérience, et de l’unité de toutes les époques»20. Arrêtons-nous à l’observation qui semble plus centrée: l’unité de The Waste Land comme résultat d’un procédé complexe, qui requiert l’application d’un vaste répertoire rhétorique. Répertoire, on peut ajouter, dans lequel la métaphore a un rôle paritaire par rapport à l’allégorie (ou à la figure, au sens dantesque-auerbachien), à l’ironie et au symbole. C’est le modèle global, qui peut être défini comme métaphorique21; la «soudaine révélation» correspond à la reconnaissance d’un critère où il ne semblait y en avoir aucun. La fonction de explanans revient au texte, alors que l’explanandum est ce qui reste hors du texte (le monde, l’histoire, l’expérience).

Si, comme il a été noté (Serpieri 196), le système mythique, fondement de l’unité des fragments de The Waste Land coïncide avec un projet culturel irrépétible dans la société littéraire contemporaine, la métaphore texte/extra-texte (où le texte exerce une fonction illustrative) a pu trouver, après Eliot, de multiples applications dans le livre de poésie du XXe siècle. Au-delà de la méthode mythique d’Eliot, la recomposition du fragment dans un cadre unitaire (mais non narratif) rentre dans la méthode de certains auteurs de la deuxième moitié du XXe siècle.

Entre autres, Edoardo Sanguineti mérite une attention particulière. Une fondamentale différence entre Eliot et l’avant-garde (dadaïste) consiste dans le fait que pour Eliot le lien métaphorique possède une validité caractéristique; en revanche, pour l’avant-garde chaque lien est également valide (car aucune d’elles ne l’est vraiment (Serpieri 222)). La néo-avant-garde (dont Sanguineti a été en Italie le représentant le plus réfléchi) juge cette idéologie limitative et se propose de rendre plus systématique les résultats de l’avant-garde. Le projet de Sanguineti est justement celui de dépasser «de l’intérieur, après l’avoir traversée, l’instance primaire de la poétique du désordre, du chaos: intention qui se révèle d’abord dans le dessein intellectuel qui est soumis à la structure poétique ‘dantesque’ de Triperuno»22.

L’originalité «éversive»23 du premier livre de Sanguineti, Laborintus, par rapport aux canons du genre, est intensifiée par une coïncidence chronologique, qui mène inévitablement à une comparaison: l’année de parution de Laborintus, 1956, c’est la même année de la Bufera e altro de Montale. La différence entre les deux livres peut être mesurée dans tout son caractère radical, si l’on connaît l’orientation opposée de ses processus métaphoriques. Selon le mécanisme analogique qui gouverne le projet de Laborintus, c’est le texte, le livre, qui a la fonction de explanans. La cohérence de l’ensemble est garantie par les associations verbales et par les représentations graphiques qu’on peut réaliser uniquement dans la dimension du texte, et non à travers la mimesis d’une réalité objective. C’est le livre, que l’auteur a bâti en pensant aux principes de la psychologie jungienne24, qui doit étendre ces préceptes au-delà du texte pour exprimer une idée de la réalité. La réponse de Zanzotto est bien connue, il définit Laborintus comme une «sincère transcription d’une dépression nerveuse» et Sanguineti lui-même précisa que la dépression était aussi et surtout «historique» (Giuliani 953). Historique-poétique et historique-sociale, s’il est vrai que le bégaiement stylistique veut exprimer la «dissolution […] du sujet qui s’identifie dans un tel langage – l’intellectuel définitivement isolé par l’omnipotence du capital – en tant que sujet social […] dont le discours est littéralement dépouillé de sens, réduit à un fragment, tautologie, écholalie»25. La signification idéologique que l’assemblage de fragments et des citations typiquement néo-avant-gardiste veut exprimer a été développée très clairement par Franco Fortini:

Mais la «nouvelle avant-garde» évolua, à vrai dire, dans plus d’une direction: celle destinée à des développements plus riches recourait à l’assemblage de fragments du discours afin d’exploiter les éléments troublants et arbitraires […]. Les producteurs de ces agrégats verbaux se proposaient, sous couvert d’un déni radical de communication, de faire violence à la communication banalisée, de détruire l’univers linguistique (littéraire) «normal»; mais ils voulaient aussi produire une imitation transposée du chaos verbal et graphique dans lequel l’industrie culturelle venait de nous plonger. La méthode du broyage du discours en éléments significatifs plus ou moins complexes était proposée pour obtenir le maximum possible de négation de la «poéticité» […]26.

Le broyage comme méthode restitue donc une version du langage chaotique de l’ «industrie» culturelle idéologiquement orientée vers la «négation de la ‘poéticité’». L’élaboration d’un projet idéologique marque l’écart entre la confusion métonymique de l’extra-texte et le statut métaphorique des connexions présentes dans le texte. Fortini même, bien qu’il parle d’un texte «imitant» la réalité, utilise immédiatement le terme «transposée»: le critique ne pense pas, évidemment, à un procédé mimétique, mais plutôt à une réinterprétation métaphorique. La transposition permet au texte de faire face à la réalité, en se proposant comme modèle doté d’un sens et d’un ordre. Cela au moins chez Sanguineti: Laborintus trouve, en effet, un fondement unitaire dans l’hypotexte psychologique-jungien. D’ailleurs, la dialectique entre unité et dispersion affleure à la surface thématique et argumentative du livre, par exemple dans le texte introductif ou dans [ah il mio sonno…]. La thématique de la «Palus Putredinis» (le «marais de la putréfaction», au centre «d’un paysage mental en désagrégation»), qui traverse le livre et corrobore son unité interne, s’accorde avec l’image de la terre-mère, «symbole polyvalent de l’unité et du désir d’abolition des opposés» (Giuliani), lieu de la cohésion et des «complexions structurelles», qui renoncent, toutefois, à l’individualité que le sujet cherche en vain à conquérir:

 composte terre in strutturali complessioni sono Palus Putredinis
 ([composte terre...], v. 1)
  
 ah il mio sonno: e ah? e involuzione? e ah? e oh? devoluzione? (e uh?)
 e volizione! e nel tuo aspetto e infinito e generantur!
 ex putrefactione; complesse terre; ex superfluitate; livida Palus
 livida nascitur bene strutturata Palus [...]               ([ah il mio sonno], vv. 1-4)   

Le processus de dérive du sujet, caractéristique de la poésie de la deuxième moitié du XXe siècle, atteint avec Sanguineti un degré très avancé. Dans Laborintus, la crise du protagoniste lyrique est à l’origine d’une sorte de réfraction, qui multiplie et répartit le rôle du je lyrique entre un protagoniste diégétique (Laszo), et un «protagoniste linguistique» (Curi 264) (en laissant à l’arrière-plan le je de l’auteur). L’introduction du personnage de Laszo et d’une sorte de deutéragoniste allégorique (Ellie27) crée toutefois une tension entre un «sens structurel» (Curi 273) et la diegesis – quand même présente en filigrane et distribuée sur deux niveaux: celui psychologique et philosophique (que consiste dans l’essai frustré de réaliser le principium individuationis, en se délivrant de l’indéfini marais) et celui historique et marxiste (que devrait conduire à la victoire sur la société d’une conscience révolutionnaire, la «conscience hétéroclite»). La diegesis harmonise, d’une façon tout à fait originale par rapport à la tradition lyrique précédente et contemporaine, le plan sémantique et celui factuel (les vicissitudes de Laszo et Ellie sont vicissitudes symboliques et jungiennes, historiques et matérialistes); le sens structurel dépend des liens et des reprises presque musicales, asémantiques, qui paraissent dissociées du plan diégétique (donc, avec une fonction différente des liens intertextuels d’un chansonnier) et plutôt liées à la poétique de la «non-signifiance» (Fortini 205). L’ordre structurel (comme chez beaucoup d’auteurs de la néo-avant-garde, la régularité métrique) est renforcé par le contraste avec une intensification du sens presque incontrôlable.

Avec Sanguineti, le lyrique moderne et contemporain entre dans une phase historique, où les ressources de la forme-livre sont tâtées jusqu’aux limites de leurs fonctions, pour être ensuite retenues comme occasion paradoxale d’une remise en question des instituts poétiques essentiels: du sujet à la séquence macro-textuelle, du style au rapport mimétique qui lie la réalité au texte. Déjà chez Eliot, les mêmes instituts étaient objet d’une réflexion et d’une réorganisation: cela confirme la continuité substantielle dans la fonction de projet de la métaphore et d’une analogie de fond entre les œuvres que l’on peut expliquer et décrire au vu de cette figure macro-textuelle. Continuité et analogie qui découlent, surtout, de la constatation d’un épuisement historique ou culturel, auquel le texte réplique en découvrant des règles alternatives à la linéarité et à la consécution et, surtout, en offrant un modèle d’interprétation. Il existe toutefois une différence historique incontournable entre deux œuvres telles que The Waste Land et Laborintus: la première exprime une intention réformatrice, qui fait de la poésie une arche qui réunit et transmet les valeurs de la civilisation littéraire; la deuxième présente le rapport d’une crise irréversible, qui compromet les deux milieux culturels auxquels l’auteur semble enclin à reconnaître un rôle prédominant dans la culture, la société et la structure même du monde contemporain: la psychologie et l’historisme.

  1. Il faut se rappeler que, selon la théorie de Ricœur, l’intelligence narrative, qui découle de la compréhension des modalités de construction de l’intrigue, représente une alternative aux formes d’exégèse rationnelle proposées par les modèles sémiotiques. Aussi, pour Ricœur, l’idée d’écart par rapport à un ensemble de règles «grammaticales» (par exemple, l’ «inventaire systématique des rôles principaux» dans la Morphologie du conte de Propp) ne peut pas se substituer à la «synthèse des rôles dans l’intrigue», c’est-à-dire, à la compréhension d’une dynamique interne au texte (cf. Ricœur, Temps et récit 2, chap. II: Les contraintes sémiotiques de la narrativité, en particulier, p. 69).
  2. Indiquées en tant que telles par Corti dans «Testo o macrotesto? I racconti di Marcovaldo» et Il viaggio testuale, et par Testa dans Il libro di poesia.
  3. Selon la perspective formaliste, la fabula – la succession linéaire des évènements d’un discours narratif – s’oppose à une intrigue, qui a la fonction de mouvementer la surface des évènements, subséquents l’un à l’autre. La distinction fabula/intrigue a été l’objet, ces dernières années, de critiques et réflexions (surtout à cause de sa rigidité et de la substantielle insuffisance dans l’illustration des intrigues romanesques contemporaines les plus complexes): à cet égard, voir Brooks.
  4. Je crois qu’on pourrait soutenir sans doute la nature rhétorique de l’équivalence et de la transformation: à la première correspondrait un procédé de type itératif, à la deuxième une figure fondée sur le principe de négation/renversement.
  5. Excepté les cas où l’œuvre entretien avec le modèle précédent un rapport d’explicite adhésion ou de contestation.
  6. Si j’utilise le mot «voile» pour indiquer un navire, je fais recours à une synecdoque: je définis un tout (le navire) à travers une de ses parties (la voile); si j’utilise le mot «cygne», je crée une métaphore, en faisant se recouper deux champs différents (celui du navire et celui de l’animal choisi pour le définir), qui partagent une zone de signification (dans ce cas, celle de l’élégance, de la grâce, etc.); si j’utilise le mot «bois», je fais une métonymie: les champs des deux mots (navire et bois) ne se croisent pas, mais ils sont contigus, car le bois est la matière avec laquelle a été construit le navire.
  7. «Invece di quella naturale evoluzione da poesia a poesia che ho accennato, qualcuno preferirà scoprire nella raccolta ciò che si chiama una costruzione, una gerarchia di momenti cioè, espressiva di un qualche concetto grande o piccolo, per sua natura astratta, esoterico magari, e così, in forme sensibili, rivelato. Ora, io non nego che nella mia raccolta di questi concetti se ne possano scoprire, e anche più di due, nego soltanto di averceli messi»; notre trad.; Pavese 105.
  8. À propos de l’élaboration de Lavorare stanca et de la comparaison entre les deux rédactions du livre, en outre de la Note aux textes de l’édition des Poésies, éditée par Mariarosa Masoero: Calvino; Caretti, «Per un’edizione delle ‘Poesie’ di Pavese» (puis Caretti, Sul Novecento, pp. 190-97); Leva.
  9. «Anzitutto, proprio lo stile oggettivo mi dava qualche consolazione con la sua solida onestà: il taglio incisivo e il timbro netto che ancora gli invidio»; notre trad.; Pavese 106 et 109.
  10. Dans Proèmes (1948). Cf. Risset VI.
  11. Dictionnaire de l’Académie française, n.f. «asymptote».
  12. Note de l’éditeur: en français dans le texte d’origine.
  13. La troisième partie du volume de Grignani est dédiée presque entièrement à la question du sujet dans la poésie contemporaine; les deux essais principaux, Derive dell’identità et Posizioni del soggetto nella poesia del secondo Novecento, développent et précisent les termes d’une discussion abordée, ces dernières années, dans plusieurs études de grand intérêt: entre autres, Lenzini, Interazioni et Testa, Per interposta persona.
  14. Cf. Blasucci, «Lettura e collocazione di “Nuove stanze”» [puis en Blasucci Gli oggetti di Montale, p. 153-83] et Simonetti, Dopo Montale.
  15. «Non ho mai cercato di proposito l’oscurità e non mi sento perciò molto qualificato a parlarvi di un supposto ermetismo italiano»; notre trad.; Parliamo dell’ermetismo, dans Montale 1531.
  16. «Ma una resta, pur nelle infinite varianti, la tendenza, che è verso l’oggetto, verso l’arte investita, incarnata nel mezzo espressivo, verso la passione diventata cosa. E si avverta che qui non s’intende per cosa la metafora esteriore, la descrizione, ma solo la resistenza della parola nel suo nesso sintattico, il senso obiettivo, concluso e per nulla parnassiano di una forma sui generis, giudicabile caso per caso»; notre trad.; Montale 1533.
  17. Au début des années 1930, Ponge participe au mouvement de Breton, en accueillant peut-être l’idée d’une écriture sans sujet préétabli, outre à celle de la conscience poétique des objets (Cf. Breton).
  18. Cf., en particulier, Bottiroli 42-50. Bottiroli rappelle aussi comme la métaphore a une application modélisante et organisatrice dans le milieu psychanalytique (comme forme expérientielle et de contrôle, pour faire face à l’irruption de l’inconscient) (Freud 193-249; Fonzi et Negro Sancipriano; Lakoff-Johnson). Les considérations de E.H. Gombrich semblent converger vers la même destination cognitive (Gombrich 234-38); en particulier, Gombrich attribue à la métaphore, à condition qu’elle soit «encore ressentie comme telle» («ancora sentita come tale»), la fonction d’ouvrir «une nouvelle perspective sur la structure du monde» («una nuova visuale nella struttura del mondo»; notre trad.; 236).
  19. En effet, il semble y avoir une correspondance entre la fonction cognitive de la métaphore (l’expression d’un regard sur le monde à travers l’élaboration d’un modèle) et les procédés de configuration (mimesis II) et refiguration (mimesis III), définis par Ricœur dans Temps et récit 1.
  20. «[Leggendo The Waste Land] Proviamo un senso di improvvisa rivelazione da un materiale che ci era sembrato messo insieme a caso. […] Il fatto che i personaggi si fondano l’uno nell’altro è, naturalmente, un aspetto di questo processo complessivo. […] Per i personaggi, come per gli altri simboli, i rapporti di superficie possono essere casuali e apparentemente banali, e si possono istituire in modo ironico o per mezzo di associazioni casuali, o in uno stato di allucinazione; ma nel contesto complessivo della poesia i rapporti profondi ci sono rivelati. L’effetto che ne consegue è un senso di unitarietà dell’esperienza, e dell’unità di tutte le epoche»; notre trad.; Moretti 95.
  21. Serpieri parle d’«appareil métaphorique», bien que destiné à un «débouché allégorique» au final: «Le débouché allégorique décharge la confrontation entre les époques historiques et la présentation paradoxale ou satirique du présent, en organisant l’appareil métaphorique autour d’une signification précise: la nécessité d’une purification spirituelle métahistorique» («Lo sbocco allegorico infatti toglierà peso al confronto fra le epoche storiche e alla presentazione paradossale o satirica della presente, sistemando l’apparato metaforico intorno ad un preciso significato – la necessità di una purificazione spirituale metastorica»; notre trad.; 215). Or, la précision de la signification est justement le moyen permettant de passer, selon une distinction bien ancrée, du symbole à l’allégorie. Mais la «purification métahistorique» dont parle Serpieri peut coïncider, plus généralement, avec l’institution d’un modèle d’interprétation du monde; interprétation représentant la vraie fonction cognitive de la métaphore en tant que procédé méta-figuratif.
  22. «[…] dall’interno, dopo averla attraversata, l’istanza primaria di poetica del disordine, del caos: intenzione quest’ultima che si rivela anzitutto nel disegno intellettuale che sta sotto alla struttura poematica ‘dantesca’ di Triperuno»; notre trad.; Mengaldo 952, note introductive de Edoardo Sanguineti. «Triperuno» (1964) est le titre de la summa où Sanguineti a réuni Laborintus (son premier livre – 1956), les Erotopaegnia (déjà publiés dans Opus metricum, 1961, avec une réédition de Laborintus), et un «chapitre» inédit, Purgatorio de l’Inferno.
  23. «Je voulais dépasser le formalisme et l’irrationalité de l’avant-garde (et finalement la même avant-garde, dans ces implications idéologiques), plutôt qu’à travers un refoulement, via l’exaspération des contradictions du formalisme et de l’irrationalisme jusqu’au bout, le bouleversement du sens, le travail sur les mêmes postulats de type anarchique, mais portées à un degré de conscience historique éversive» («Si trattava per me di superare il formalismo e l’irrazionalismo dell’avanguardia (e infine la stessa avanguardia, nelle sue implicazioni ideologiche), non per mezzo di una rimozione, ma a partire dal formalismo e dall’irrazionalismo stesso, esasperandone le contraddizioni sino a un limite praticamente insuperabile, rovesciandone il senso, agendo sopra gli stessi postulati di tipo anarchico, ma portandoli a un grado di storica coscienza eversiva»; notre trad.; Sanguineti).
  24. Certaines des images symboliques et des conceptions jungiennes essentielles que Sanguineti introduit dans Laborintus ont été expliquées par Giuliani dans une note qui accompagne le premier texte du livre, [composte terre…].
  25. « […] dissoluzione […] del soggetto che in tale linguaggio s’identifica – l’intellettuale messo definitivamente fra parentesi dall’onnipotenza del capitale – in quanto soggetto sociale […], il cui discorso è letteralmente deprivato di senso, ridotto a lacerto, tautologia, ecolalismo»; notre trad.; Giuliani 953.
  26. Ma la «nuova avanguardia» si mosse, a dire il vero, verso più di una direzione: quella destinata a più ricchi sviluppi ricorreva al montaggio di frazioni del discorso per fruire degli elementi di sconcerto e di arbitrio […]. I produttori di questi aggregati verbali si proponevano, sotto l’apparenza di un radicale diniego della comunicazione, di far violenza alla comunicazione banalizzata, di distruggere l’universo linguistico (letterario) ‘normale’; ma volevano anche produrre una trasposta imitazione del caos verbale e grafico in cui l’industria della cultura ci veniva immergendo. Il metodo della frantumazione del discorso in elementi significanti più o meno complessi veniva proposto per ottenere il massimo possibile di negazione della ‘poeticità’ […].; notre trad.; Fortini 205-206.
  27. «L’auteur même explique: Ellie est mon corps, elle est tout le monde […]. Ellie est l’‘Âme’ selon Jung, elle est Palus même» («Lo stesso autore spiega: Ellie è il mio corpo, è tutto il mondo […]. Ellie è l’‘Anima’ nel senso di Jung, è la stessa Palus»; notre trad.; Giuliani)
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Notes
Pour citer cet article

Référence électronique

DOI: https://doi.org/10.26034/la.tdl.2020.1007

Traduction française:

Scaffai, Niccolò. «Le poète et son livre. Troisième chapitre. La disposition stylistique. Les figures macro-textuelles». Traduit par Fabio Jermini. Théories du lyrique. Une anthologie de la critique mondiale de la poésie, sous la direction d'Antonio Rodriguez, Université de Lausanne, octobre 2020, https://lyricalvalley.org/blog/2021/06/14/le-poete-et-son-livre-troisieme-chapitre-la-disposition-stylistique-les-figures-macro-textuelles/.

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Version originale de l'article:

Cette partie de chapitre a été publiée en italien, sous le titre de «Disporre con stile. Le figure macrotestuali» dans l'ouvrage Il poeta e il suo libro. Retorica e storia del libro di poesia nel Novecento (Mondadori Education, Le Monnier Universita, 2005).

Auteurs

Niccolò SCAFFAI

Université de Sienne, IT
Niccolò Scaffai enseigne la critique littéraire et la littérature comparée à l’Université de Sienne, où il dirige le Centre interdépartemental de recherche Franco Fortini en histoire de la tradition culturelle du XXe siècle. De 2010 à 2019, il a enseigné la littérature contemporaine à l'Université de Lausanne, où il a dirigé le Centre interdisciplinaire d'études des littératures (CIEL) et fondé le Pôle de recherche sur l'italianité (RecIt). Ses études portent principalement sur la littérature moderne et contemporaine. Il a traité de la poésie du XXe siècle (Montale, Sereni, Caproni, Saba), des formes narratives courtes (Calvino, Bassani, Bilenchi), du rapport entre littérature et histoire (notamment à travers l'œuvre de Primo Levi), de la littérature et de l'écologie (à laquelle il a consacré une récente monographie intitulée Letteratura e ecologia: forme e temi di una relazione narrativa publiée par Carocci). Il a également dirigé un projet international financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique sur Franco Fortini. Parmi ses autres publications: Montale e il libro di poesia, Il lavoro del poeta. Montale, Sereni, Caproni. Parallèlement à ses activités au sein de l’université, il fait également partie des comités directeurs de «Between», «Italianistica» et d'autres revues scientifiques. Il est aussi membre du jury du Prix littéraire suisse, du Prix national de poésie Pagliarani, du Prix Vittorio Bodini et du Prix Renato Fucini.

(Traduction)

Fabio Jermini, Université de Genève