La pointe de la théorie
internationale en poésie
Antonio Rodriguez
Université de Lausanne
Livrer les théories du lyrique parmi les plus importantes aujourd’hui, en provenance du monde entier, par des traductions de qualité en français, m’a paru ces dernières années un projet fondamental à mener. La gratuité de l’accès à une édition numérique soignée participait à l’élan puissant qui apparaît aujourd’hui à travers divers projets en poésie. Ainsi, la critique contemporaine du lyrique relève plusieurs défis de notre époque: 1. La diffusion numérique permet de diffuser la recherche plus internationalement, par-delà les frontières du format imprimé en livres ou revues; 2. La gratuité de cet accès, lorsqu’il est garanti par des fonds publics, démocratise la consultation des articles les plus importants (nous pouvons penser aux étudiants, aux chercheurs dans la précarité, ainsi qu’aux pays qui manquent de ressources pour leurs bibliothèques); 3. Les choix de qualité garantis par le rassemblement des tendances critiques de la poésie sur une échelle mondiale, en plusieurs langues, notamment par le biais de l’International Network for the Study of Lyric (INSL) que j’ai l’honneur de présider depuis 2019. La conjonction de ces éléments a conduit à élaborer une anthologie (un «Reader», en anglais) d’articles ou de chapitres des principaux critiques internationaux de la poésie, qui sont intervenus dans les congrès de l’INSL à Boston (2017), puis à Lausanne (2019). Elle préfigure le précis international des notions que les universités suisses mettent en place actuellement.
Un tel projet de traduction vise à décloisonner les théories de la poésie de débats uniquement locaux ou nationaux afin de les dynamiser dans une recherche internationale préconisée par les fonds nationaux, continentaux en Europe ou intercontinentaux. Dans ce contexte, les approches pluridisciplinaires, multimédias, numériques s’associent à des compréhensions fines des phénomènes historiques, sociologiques ou de la culture matérielle de la poésie. Le point d’appui sur la théorie du lyrique, souvent considéré en parallèle à la poésie, mais aussi observable dans d’autres arts, comme la musique, la photographie ou le cinéma, offre un ancrage plus aisé pour passer d’une langue à une autre. Des problèmes communs sont soulevés, et il devient stimulant de considérer les perspectives dans d’autres traditions linguistiques.
À terme, ce projet, qui peut être étendu sur une durée longue et favoriser la culture de la traduction scientifique dans les domaines littéraires, cherche à participer à un changement d’échelle, grâce au numérique et à la mondialisation renouvelée qu’il implique, de manière plus harmonieuse que par la domination d’une langue, l’anglais, sur toutes les autres. La critique littéraire ne peut se permettre de niveler la rigueur sur des standards appauvris sous prétexte de chercher des langages communs. Au contraire, la critique doit favoriser l’accès aux réflexions et aux théories internationales par le biais d’un accès au langage premier utilisé dans les œuvres servant de corpus ou de langue de communication scientifique dans les différentes disciplines.
L’anthologie se déploie par salves d’édition. Elle augmente, s’enrichit avec le temps, de manière vivante et dynamique. Chaque livraison est accompagnée d’une introduction qui présente les orientations choisies. Les deux premières éditions ont été rendues possibles grâce au formidable travail d’édition et de coordination de Sandra Willhalm (Université de Lausanne) et de conception numérique de Pierre Ménétrey. Grâce à leur soutien, il est devenu possible de consulter une anthologie élégante et de qualité. Je remercie le Décanat de la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne pour le financement des traductions, ainsi que Micaela Crespo de la même université pour les conseils sur les politiques de l’Open Access, en lien avec les prérogatives en matière d’édition développées par le FNS en Suisse. Je remercie également les comités de l’INSL pour avoir sélectionné lors des congrès mondiaux de très fins conférenciers et chercheurs du monde entier (ils font office de comité scientifique implicite de ce projet). Ma gratitude se dirige principalement vers les auteurs eux-mêmes qui m’ont fait confiance et qui ont incité leurs éditeurs à observer une politique souple afin de mieux déployer les réflexions dans une approche internationale en libre accès.
Publié le 20.02.2020